Elle vit seule, avec ses deux fils : Stan (9 ans) et Kevin (5 ans). Ils ne sont jamais partis en vacances. Aussi malgré sa pauvreté et ses angoisses, elle les emmène à la mer. Une escapade troublante pour les enfants : demain, il y a école. Peu importe. Elle veut "qu’on s’embarque et qu’on y croie à fond". Pour passer inaperçus, ils ont pris le dernier car du soir. Long voyage, crispant pour la mère, fastidieux pour les mômes, excités comme des puces. Sous une pluie battante, ils débarquent dans une ville noire, anonyme, mystérieuse. Sans un mot, un petit monsieur leur montre du doigt leur hôtel. Minable. Loin des images de la télé. Tout était marron : "on aurait dit qu’une vielle boue était accrochée aux murs et au sol." Perchée au sixième étage, sans ascenseur, la chambre est à peine plus large que le lit. Pas de table, pas de chaise, pas d’armoire. Les mauvaises surprises s’enchaînent. Déçue, la maman les encaisse et s’efforce de remonter le moral des garçons. Demain on verra la mer...
Avec ses vagues énormes, qui s’étiraient furieusement, elle n’était pas accueillante. Le café, où ils se réfugient pour se réchauffer, l’est encore moins. Soutenu par les ricanements des clients, qui se conduisent comme ses chiens, le patron s’amuse à humilier Stan. Pourquoi une telle hostilité ? Pour balayer toutes ces désillusions, on cherche une fête foraine, à la sortie de la ville. Lumières, musiques, cornets de frites, autos tamponneuses rendent le sourire aux gamins : "On a pris trois fois la rouge, m’a dit Stan, tu nous as vus ?". Elle était ailleurs. Mais elle leur a offert un sursaut de bonheur, avant de plonger dans l’horreur.
Tout au long du récit, on découvre une différence de relation entre la mère et chacun de ses deux fils. Comme tous les mômes de cinq ans, Kevin est accaparant. Cela ne la gêne pas. Elle sait s’y prendre pour le rassurer. Touchée par son innocence, elle adore le faire rire, en couvrant son ventre de bisous péteurs. L’attachement de son petit à son institutrice l’agace et elle a honte qu’il dise : "Avec Stan, je suis jamais en retard.". Son aîné lui lance souvent des regards accusateurs. Comme lorsqu’elle a oublié le lolo de Kevin. Se sentant de plus en plus responsable, Stan la remplace, la soutient, lui ouvre les yeux. La lucidité, la colère intérieure de l’enfant qui a mûri trop vite, provoquent des tensions, de lourds silences. Mais cette mère, de moins en moins capable de le protéger, admire sa détermination à prendre soin des autres.
A l’abri d’un container menaçant, Magali Pinglaut incarne cette femme en perdition, au bord du précipice. Elle élève rarement la voix, bouge peu, mais son visage expressif et sa présence rendent sa confession fascinante. On se laisse envoûter par la langue âpre de Véronique Olmi, qui mêle mots crus et images poétiques, réactions à chaud et réflexions sur l’existence. Sans pathos, la comédienne fait sentir la révolte, qui bout dans cette femme fragile, incapable de sortir de son isolement. Droguée par les médicaments, elle est envahie par ses angoisses, se déconnecte de la vie et devient une mère instable. En écoutant les péripéties de l’équipée sinistre, on ressent une tension implacable. Cette maman à la dérive n’échappera pas au désespoir et à la folie. Son geste est monstrueux mais inéluctable. Ce seul en scène est un témoignage poignant qui nous prend aux tripes. Une incitation à combattre la déshumanisation de la société et notre indifférence aux laissés-pour-compte.
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