Nathalie s’inquiète pour son gratin. La couvrant de mamours - chouchou par ci, chouchou par là - Jean-Luc la rassure. Christophe, le copain de fac qu’ils ont invité ce soir, a simplement un peu de retard. Effectivement, il arrive, le visage crispé, accompagné de Patricia, qui ne desserre pas les dents. Intrigués par sa froideur et son mutisme, les tourtereaux se persuadent que c’est une étrangère et lui parlent par gestes ou dans un charabia anglicisant. Avec une insistance risible. Vexée d’être traitée comme une débile, Patricia menace de partir. Puis saisissant la méprise, elle s’amuse à entrer dans le jeu : elle est originaire de Chougrad en Chouvénie. Des noms inspirés par les roucoulades bêtifiantes de ses hôtes.
Entraîné dans ce quiproquo, Christophe est de plus en plus agacé par l’audace de Patricia. Il ronge son frein. Pas question d’imiter les profs, comme le souhaite Jean-Luc. Dix ans ont passé et ils n’ont plus grand-chose à se dire. Alors on apprécie le porto "qui vient du Portugal", on s’extasie sur la salade-jambon-fromage, on trouve géniale une "soirée lapin". Evidemment, on évoque l’organisation du futur mariage. Bien des tracasseries pour... un dîner presque parfait. Lorsque le couple petit bourgeois apprend que Patricia a dû fuir son pays, il manifeste une compassion teintée de roublardise et d’égoïsme. Les dons s’accumulent : une couverture mais aussi une machine à café (défectueuse), une télé noir et blanc (le poste couleur figure sur la liste de mariage) etc... Si Jean-Luc incite Christophe à se méfier des mariages blancs, Nathalie essaie d’obtenir des papiers pour la réfugiée de l’ex-Yougoslavie.
Comique de situation, satire grinçante de la platitude et de la mode caritative déclenchent de nombreux rires. Benoît Strulus souligne efficacement la naïveté de Jean-Luc. Fier de savoir dire "merci" en chouvène, il s’embourbe dans la guerre des "Balcons". En incarnant Nathalie, Laure Tourneur fait sentir que la nunuche énamourée cache une femme prisonnière des conventions et des convenances. Exemple de sa délicatesse de façade : puisqu’en Chouvénie, on ne peut pas faire l’amour avant le mariage, elle interdit à Jean-Luc toute allusion sexuelle.
Cependant les personnages manquent de consistance. Les victimes de Patricia réagissent comme des marionnettes, dont elle tire les fils. Cassante, agressive, provocante avec Christophe, elle semble prête à rompre. On s’explique mal son brusque changement de sentiment à son égard. Même perplexité devant le défi que celui-ci lui lance, jouant leur avenir conjugal à pile ou face. Quelques maladresses de Jean-Luc suffisent pour provoquer des querelles mesquines et mettre en danger un mariage, qu’il a osé qualifier de monstrueux. Dommage aussi que la pièce démarre laborieusement. Pour nous informer sur le couple en crise, l’auteur le sépare du duo fusionnel, sous différents prétextes. Des coupures artificielles qui font balbutier la mise sur orbite. Malgré ces défauts, le public se laisse emporter par cette comédie déjantée, pur produit du café-théâtre.