Fuck you, 2016 !
Nombreux sommes-nous à avoir pensé très, très fort cette phrase un peu grasse, un peu rock, qui faisait du bien, qui balayait le rien, au passage de l’an neuf.
Parce que, oui, 2016, t’as bien pué, tsé. (et je vais pas te rappeler pourquoi)
Aujourd’hui, janvier.
Gueule de bois et nouveaux pas, 2016 ne reviendra pas, 2017 nous tend les bras.
Ce 2017 dont on s’est promis, sous le gui, qu’il serait plus beau, plus riant, plus brillant. Forcément. Fini la destruction, place à la construction. Fini les temps mornes, place à ceux qui chantent. Qui changent. Fini les pensées négatives, place à l’happy therapy.
Oui, mais. Voilà. Les derniers morceaux de 2016 consumés laissent place au vide de 2017. C’est beau, les bonnes résolutions. Mais on fait comment pour avancer, pour changer, pour remplir de mieux ces quelques mois à venir (et puis tous les autres qui suivent) ?
Et si, rêvons un peu, ça passait –aussi- par le théâtre ?
Parce que le théâtre est depuis toujours mise en mouvement d’une pensée, qu’il est partageur, qu’il est fédérateur. Parce que le théâtre est depuis toujours lieu de luttes, lieu de bruit, lieu de dénonciation. Lieu politique ultime. Parce qu’il y a eu les théâtres contestataires, les théâtres érigés contre les oppressions, les théâtres dénonciations. Les théâtres critiques. Parce qu’il y a eu Brecht, Piscator, Jean Genet, le Living Theater, et tant d’autres. Parce que qu’il soit amateur ou professionnel, le théâtre dit de nous, de nos existences, de nos inconforts, de nos volontés. Il se donne à voir pour changer, pour avancer. Pour ouvrir nos regards.
Et nos salles de début de saison ne font pas mentir l’affirmation. Au KVS, notamment, où, depuis la fin de l’an dernier (oui, on est prévoyant au théâtre, où les bonnes résolutions n’attendent pas le passage calendrier), on peut assister à Kamyon. Initiative géniale, théâtre « en situation », la pièce –qui raconte la vie d’une fillette sur les chemins de l’exil- se joue… dans un camion. Banquette de bois et audience réduite, le spectacle, acte de dénonciation citoyenne et humaine, s’est tourné en Slovénie, France, République Tchèque, Italie, Hongrie et Angleterre avant d’arriver chez nous. Dans chaque pays, une nouvelle comédienne reprend le rôle, créant une ronde des existences, théâtrale autant qu’humaine. A Bruxelles, ville qui doit, qui veut se rappeler sa multi-culturalité, il se donnera en plusieurs langues, du français au flamand en passant par le turc.
- Kamyon
- KVS ©Stef Depover
Kamyon est de ces initiatives qu’on voudrait plus nombreuses, de ce théâtre qui dit la vie et se donne à voir comme tel. Il est poésie politique. Il se donne, simple et beau, et se reçoit comme tel, avec cœur et tête. Il est, en plus, un théâtre qui éduque, puisqu’il est visible dès 8 ans. Autant dire qu’il est un essentiel.
Autre lieu, autre sujet.A quelques pas de là, le National met la différence sur scène, avec la compagnie What’s Up ?! et la metteure en scène Héloïse Meire qui a interrogé l’autisme, ses modes de fonctionnement et de communication. De ce travail surgira sans doute, création d’unique différence en lumière, le questionnement des limites de la normalité. De l’intégration d’autre chose dans nos quotidiens bien rangés. Car l’a-normalité n’est-elle pas constitutive du monde qui nous fait, qui nous vit ? Nécessaire réflexion aujourd’hui, où la standardisation des existences menace, au jour où le « tous les mêmes » nous pend au nez. « Is there life on mars ? », c’est donc une question salutaire, en mode survie dans un monde unitaire.
A Charleroi, on se penchera plutôt au chevet de la planète de ludique façon, puisqu’avec « Are we not drawn onward to new erA », spectacle au titre-palindrome, spectacle qui se voit dans les deux sens, le collectif Ontroerend Goed se demande si la planète continuera d’exister après nous. Belle réflexion qui porte à conséquence immédiate au quotidien : que faire de ce lieu dont nous sommes actuellement les pensionnaires. Locataires, et pas propriétaires, faut-il le rappeler ?
- Are we not drawn onward to new erA
- Théâtre de l’Ancre / PBA
Ailleurs, la parole dénonciatrice ne s’exprimera pas seulement dans de belles nouveautés technologiques et conceptuelles sur nos scènes. Les Tanneurs mettent par exemple à l’honneur le verbe beau de Shakespeare, proposant un spectacle moins connu de l’auteur british, Timon d’Athènes, porté par la compagnie De Roovers. Timon, beau Timon, grand Timon, organisateur de soirées huppées d’époque, ruiné du jour au lendemain. Timon qui interrogera nos rapports à l’argent en temps de crise. Percutant, isn’t it ?
Enfin, au plus proche de cette actualité qui nous fit mal, qui nous fit mort, parfois, en 2016, le touchant « Lettres à Nour », présenté au Théâtre de Liège, donne à entendre le dialogue épistolaire entre un père musulman, qui vit sa religion comme un message d’amour, et sa fille, partie en Irak rejoindre un mari épousé en secret, lieutenant à Daesh. Dans ce texte, porté par Charlie Dupont et Tania Garbarski, Rachid Benzine, auteur franco-marocain, explore les racines de sa religion, les causes de la haine. Le pourquoi du départ de jeunes ayant sa culture, celle « d’ici » et qui partent « là-bas », dans un pays en guerre, tuer au nom d’un dieu qui « est aussi le sien ». Pourquoi la haine là quand l’amour est si fort, si présent, ailleurs ?
Le théâtre, donc, en sa plus intrinsèque identité, est porteur de parole, de lutte, de dénonciation. Il interroge le présent, met en lumière nos passés et illumine nos possibles futurs. Par son discours, ses procédés, ses mises en espace et en corps.
Mais, et c’est là toute sa magie, il y a plus.
Parce que dans un monde qui s’est vécu, au passé, au présent, comme destruction, le théâtre est création.
Création de ceux, artistes, qui, patiemment, avec économie, souvent, de moyens, mais jamais de passion et de foi, construisent leurs œuvres, leurs discours, leurs cris, leurs mots.
Création, aussi, de nous, spectateurs. Nous qui décidons de contrer la morosité ambiante en allant, encore, toujours, pousser les portes de ces salles où se jouent des bouts de vie. Bouts de vie sur scène, bout de vie dans la salle. Chamboulements intérieurs de part et d’autre du rideau –qu’il existe encore ou pas, théâtre conventionnel ou théâtre contemporain.
Parce que ce fil tendu entre l’humanité en scène et l’humanité en salle, cette tension qui se noue, ce dialogue qui s’établit, d’âme à âme, de cœur à cœur, en corps à corps, il met en mouvement, et est création, lui aussi.
Il nous pousse, nous, spectateurs, à nous mouvoir autant que nous émouvoir.
A discuter après spectacle, à échanger, à distiller les sensations et les paroles au-delà des murs des institutions. Bien au-delà.
Alors, en 2017, allons au théâtre. Y vivre, plus fort, plus beau, plus haut. Et essaimons. Le monde de demain le vaut bien.
Kamyon, Michael De Cock/KVS
Les 11 & 18/01, à 15h, quai des Péniches, 1000 Bruxelles
Le 25/01, à 15h en turc, 18h en NL, gare Josaphat, 152 avenue Gustave Latinis, 1030 Schaerbeek.
Le 08/03, à 14h, Site Abattoir, 24 rue Ropsy Chaudron, 1070 Anderlecht.
Les 22 et 24/03, à 19h, à VUB, 2 boulevard de la Plaine, 1050 Ixelles.
www.kvs.be
Is there life on mars ?, Héloïse Meir/Cécile Hupin. Cie What’s Up ?!
Du 17 au 28/01, à 20h30, sauf mercredi, 19h30, Salle Jacques Huisman du Théâtre National, boulevard Emile Jacqmain 111-115, 1000 Bruxelles.
www.theatrenational.be
Are we not drawn onward to new erA, Collectif Ontroerend Goed
Le 21/02, 20h, au PBA (Grande Salle), place du Manège 1, 6000 Charleroi
(spectacle en anglais, surtitré en français)
www.ancre.be]
Timon d’Athènes, William Shakespeare/De Roovers
Du 24 au 28/01, 20h30, sauf le mercredi, 19h, Théâtre les Tanneurs, rue des Tanneurs, 75-77, 1000 Bruxelles
www.lestanneurs.be
Lettres à Nour, Rachid Benzine
Du 24 au 28/01, 20h sauf le mercredi, 19h, Salle de la Grande Main, Théâtre de Liège, place du xx août, 16, 4000 Liège
www.theatredeliege.be