Boccaperta
Joseph Desa naît en l’an 1603 dans une étable comme Jésus-Christ, dans le petit village de Cupertino, dans la région des Pouilles. Simple d’esprit, maladroit, toujours perdu dans ses rêveries, il est l’hébété, l’étonné, le balbutiant, l’idiot sous la lune. On le surnomme ‘Boccaperta’, bouche ouverte.
Non sans mal, sa mère le fait entrer dans un couvent. Ses supérieurs, appréciant son humilité et son obéissance, décident de le faire prêtre, mais pour y arriver, il doit subir des examens. à force de persévérance, il apprend un seul verset d’un seul évangile, et le jour de l’examen, c’est sur celui-là qu’il tombe. Le voici prêtre. Il vit alors dans une union si étroite à Dieu qu’il tombe constamment en extase, et en quelque lieu qu’il se trouve, s’élève vers les cieux. Tout le monde accourt pour le voir léviter, ce qui inquiète les autorités qui le mettent à l’écart. Il passe la dernière partie de sa vie dans une solitude presque absolue, s’envole une dernière fois, les bras en croix, le 17 septembre 1663, puis rend son dernier soupir le lendemain. Canonisé en 1767 en Saint-Joseph de Cupertino, sa réputation de lévitation fait de lui le patron des aviateurs et des cosmonautes, sa réussite à l’examen de son ordination, celui des étudiants et candidats aux examens.
Emmanuel Texeraud ressuscite l’incroyable histoire de ce saint et, puisque c’est en son honneur qu’est appelée Cupertino, la municipalité californienne, au sein de la Silicon Valley où Apple a posé sa soucoupe, il la « reboote » en la faisant rentrer en friction avec « l’intelligence artificielle ». Ce nouvel univers à la fois onirique et réel modèle-t-il désormais le nôtre, comme celui miraculeux et extravagant de Joseph Desa modifiait la réalité de son époque ? Ce vieux rêve de l’homme de jouer à Dieu est-il atteint ?
Distribution
AVEC Estelle Franco, Sophie Jaskulski, Sophia Leboutte, Gaétan Lejeune, Aline Mahaux, Elena Perez
LUMIÈRE Caspar Langhoff
SON Noam Rzewski
COSTUME Charlyne Misplon
SCÉNOGRAPHIE Didier Payen
CRÉATION NUMÉRIQUE Frédéric Monnoye
DRAMATURGIE Valérie Battaglia
ASSISTANAT À LA MISE EN SCÈNE Astrid de Toffol
CONCEPTION, ÉCRITURE, MISE EN SCÈNE Emmanuel Texeraud
Vendredi 15 novembre 2019,
par
Laure Primerano
Jawbreaker
En 1968, Philip K. Dick nous demandait si les androïdes rêvaient de moutons électriques. En 2019, avec Boccaperta ! Emmanuel Texeraud nous demande, un peu, si les robots croient en Dieu…
Joseph Desa, plus connu sous le nom de Saint-Joseph de Cupertino, vécut au 17ème siècle dans la région italienne des Pouilles. Fasciné par la figure de ce saint idiot, capable de lévitation et dont la tendance à se promener partout bouche ouverte avec un air de béatitude lui valut le surnom « boccaperta », Emmanuel Texeraud nous emmène à la découverte de son histoire. Une histoire qu’il fait ici rentrer en résonnance, à travers une narration complexe, avec celle de Chiara, intelligence artificielle surpuissante nichée au cœur de la Silicon Valley. Partant de ce rapprochement improbable qui est la base de sa narration, Boccaperta ! esquisse un univers trouble, se développant par secousses qui laissent bien souvent le spectateur confus. Car la logique semble constamment nous échapper dans ce spectacle qui révèle sans cesse de nouvelles facettes d’une réalité alambiquée, soulevant dans son sillage une multitude de questions dont beaucoup resteront sans réponses.
À l’image de sa narration, Boccaperta déploie une scénographie imposante et savamment réfléchie, remettant au goût du jour le mystère médiéval. De l’éclairage aux costumes, rien n’est laissé au hasard et tout semble suivre ce fluide mouvement évolutionnel qui nous amène du XVIIème siècle de Joseph Desa au probable XXIème siècle de Chiara. Éclairage rustique à la bougie, animations pixélisées référençant les jeux-vidéos, projections vidéo…Boccaperta ! enchaine les médiums narratifs sans avoir le temps de reprendre son souffle, donnant à l’ensemble un dynamisme aussi entrainant que déroutant.
Loin de Boccaperta !, toutefois, l‘idée d’assumer un quelconque militantisme politique. En menant son spectateur, presque par le bout du nez, d’interrogation en interrogation, le spectacle crée une tension à laquelle il ne répond qu’en demi-teinte, à travers des partis pris à demi-mots. Si ses révélations finales ont ce goût de trop peu, c’est sans doute pour mieux laisser le spectateur en seul juge du tableau sociétal à la fois futuriste et ancien qu’il expose.
À l’époque du transhumanisme et des nouvelles technologies, Boccaperta ! est un spectacle qui, par des chemins détournés et parfois tortueux, questionne les relations de pouvoir qui sous-tendent notre monde depuis des siècles. Un spectacle qui, comme un bon livre, mériterait sans doute d’être vu plusieurs fois pour en comprendre toutes les subtilités.
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