Sur le papier, la proposition de « Blé » est plus qu’alléchante : cinq inconnus sont catapultés dans une histoire qu’ils ne connaissent pas et reçoivent leurs instructions de jeu en temps réel grâce à des casques audio. La trame de l’histoire se déploie petit à petit sans qu’ils puissent en comprendre les enjeux ni savoir où cela les mènera. Parviendront-ils à sauver leurs personnages du terrible sort qui les attend ? Dès lors que les acteurs changent tous les soirs, rien n’est assuré. Du coup, on est curieux de voir jusqu’où peuvent aller les cinq innocents cobayes au sein de ce laboratoire théâtral.
C’est une histoire de dimanche ordinaire en famille. La grand-mère arrive, on mange du gâteau, on regarde la télévision, on prépare le repas du soir. Sauf que tout est faux : la famille est composée de personnes qui ne se connaissent pas et la maison n’est qu’un décor de studio. Un couple (les deux auteurs) a tout organisé pour reconstituer la journée qui a vu leur vie s’effondrer. Ils sont à la fois les initiateurs et les spectateurs de cette expérience. Tandis que leurs cobayes suivent à l’aveugle les instructions, les auteurs analysent faits et gestes pour comprendre comment les événements de cette journée ont pu mener au drame qu’ils ont eux-mêmes vécu. Des phénomènes étranges vont vite apparaître et se faire de plus en plus inquiétants à mesure qu’on se rapproche de l’heure fatidique.
Voilà pour la théorie. Malheureusement, le passage à la pratique s’avère décevant. Ce récit d’une journée tranquille qui tourne au cauchemar se révèle très pauvre et sans rebondissement. Les dialogues se limitent à un échange de banalités dans lesquelles on a du mal à déceler une intrigue. Certes, la pièce possède plusieurs niveaux. Certes, il y a ce mystère entourant cette journée en apparence banale. Mais l’atmosphère d’« inquiétante étrangeté » que les deux auteurs cherchent à installer semble très artificielle et ne prend pas non plus. Jusqu’au drame final, on attend en vain que quelque chose se passe. Quant aux pauvres volontaires, ils ont l’air complètement perdus en recevant leurs instructions, si bien qu’il y a souvent un écart de vingt secondes entre chaque réplique. C’est amusant au début mais cela devient très vite agaçant, voire difficilement supportable. La pièce dure 1h10 et pourtant, on trouve le temps long.
Lorsque tout se finit, on se demande où était la part d’imprévisible dans ce qu’on a vu. L’histoire aurait-elle pu être différente ? On voit mal comment. La représentation à laquelle nous avons insisté était-elle juste une mauvaise pioche ? La seule façon de le savoir serait évidemment d’aller revoir la pièce.
Reste que « Blé » constitue une excellente réflexion sur la normalité, l’obéissance aveugle et la possibilité de changer sa destinée. Les deux complices de la Clinic Orgasm Society sont des audacieux qui bouleversent les codes du théâtre et proposent des nouvelles formes narratives. Mais un concept, aussi génial, soit-il ne suffit pas toujours pour accrocher un public et surtout pour transmettre une émotion. Cela ne suffit malheureusement pas ici.
Thomas Dechamps