Mercredi 4 mai 2005, par Xavier Campion

Bernard Cogniaux

Décontracté et sympathique, Bernard aime la vie, ses plaisirs quotidiens, cultive une grande joie de vivre, développe son univers relationnel autant qu’une convivialité et une intelligente simplicité bien agréables.

"Pour être reconnu dans ce métier, il faut faire des propositions …ne surtout pas attendre qu’on vienne nous chercher ! "

Ô vous, frères humains est toujours à l’affiche ? C’est un beau succès, c’était un projet personnel ?

En effet, c’est toujours plein, ce qui permet les reprises, c’était une idée personnelle que j’ai proposée à Jules-Henri Marchant et Martine Renders au Rideau de Bruxelles. J’avais lu ce livre il y a un petit bout de temps mais il restait dans un coin de ma mémoire, un projet bien précis. L’histoire de cet enfant juif trop protégé et brutalement confronté à la haine gratuite lors de ses 10 ans m’avait fort touché… Je n’avais donc pas rangé le livre dans ma bibliothèque, il était là, attendant le moment juste. C’était un sujet fort toujours d’actualité, mais aussi une histoire triste avec des moments de réflexion et j’aime raconter des histoires. L’auteur avait envie de la partager et l’envie m’a été communiquée lors de cette lecture ! .En l’écrivant Albert Cohen -grand amoureux de la langue française - en a fait une forme très poétique, musicale et charnelle, une forme où le mot commence à vouloir dire autre chose que ce qu’il dit. Le propos était simple mais valant la peine d’être expliqué pleinement. Il tient en une ligne, derrière le livre : " Le jour de ses dix ans un enfant juif rencontre la haine, j’ai été cet enfant. Signé : Albert Cohen… " Cela m’a totalement séduit par le ton et interpellé par les faits !

J’ai la chance que cette création se soit réalisée dans le plaisir et la complicité toujours renouvelés du travail avec Jonathan Fox.
Lors de ma proposition au Rideau, l’idée était de faire la création chez eux et ensuite que je puisse continuer la carrière de ce spectacle mais le succès a fait que nous en sommes aujourd’hui à la troisième reprise et que le 8 février nous interpréterons la centième de ce spectacle, ce n’est pas si fréquent. Ceci dit, j’aurais pu produire ce spectacle moi-même, c’était tout à fait possible mais c’est tellement confortable de travailler au Rideau. Quand il existe des structures de qualité et - agréables de surcroît -, il serait bien bête de ne pas les utiliser. Nous jouons jusqu’au 8 février et ensuite nous sommes en tournée les 10 et 11 février à Beauraing et le 15 février à Beauvechain.

Depuis le début de votre carrière vous ne vous êtes pas cantonné à attendre le rôle, vous avez également créé ?
Bernard Cogniaux
Oui, Même si les douze dernières années, ce sont principalement l’ADAC et le Rideau de Bruxelles mes principaux employeurs, il est vrai que j’amène également des propositions, des projets. Si l’on ne se comporte pas de cette manière, on joue fort peu. Et j’aime la nouveauté !

Qu’est-ce qui amène le plus de plaisir car l’on connaît Bernard Cogniaux comédien, mais aussi auteur et professeur ?

C’est exact. Chacune de ces disciplines amène un plaisir différent. Personnellement le plus créatif est évidemment l’écriture car on part de rien pour inventer, créer un personnage. Quoi de plus magnifique à partir d’un personnage que tout un chacun connaît et apprécie, que l’on crée des qualificatifs ou des adages : " être un personnage Don -Quichottesque … Se battre contre des moulins " . Le personnage a fait travailler l’imaginaire collectif, c’est stimulant !

La première fois que j’ai écrit c’était " les trompettes de l’Amour " en 90, ensuite " Orage sur un dictionnaire " en 93 avec ma compagne Marie-Paule Kumps pour le Rideau de Bruxelles.
Très vite a suivi " Ces enfants qui hurlent sur nos têtes " , - toujours avec Marie-Paule - créé à la Samaritaine et repris au Rideau en 94.
Puis il y eut l’expérience du " Mur du son " , écriture conjointe avec Caroline Von Bibikow spectacle pour comédiens entendants et sourds, c’est un atelier qui vit son aboutissement dans une lecture-spectacle encore au Rideau.

En 2000, j’ai participé à l’écriture avec Eddy Kartchevsky et Pierre Guyaut pour " Le bal des fonctionnaires " à l’ADAC chez Alain Leempoel.
Toujours en écriture : " A table " et, toujours avec Marie-Paule Kumps mais également Martine Willequet, Patrice Mincke, Christian Labeau à la Toison d’Or chez Nathalie Uffner.

J’ai également fait une adaptation des nouvelles de Thomas Owen mais là c’est encore une autre forme de travail, moins créative cette fois. Je n’ai pas de projet immédiat pour l’écriture mais des idées, des envies qui se concrétiseront à leur heure. Si la saison prochaine, je ne suis pas distribué, j’irais fouiller dans le tiroir de mes projets !

Quant au jeu du comédien, c’est incontestablement la partie la plus jouissive de notre métier.

Le job de professeur … ? (J’enseigne l’art dramatique au Conservatoire de Mons )-, est quelque chose qui m’attendrit tout particulièrement. Quoi de plus émouvant et enrichissant que de voir arriver des jeunes s’exprimant timidement qui repartent, avec un talent d’orateur bien développé.

Quant à la mise en scène, ce n’est pas ce qui m’interpelle le plus, j’avais une vision de mise en scène pour O frères humains mais ce n’est pas le cas de chaque pièce. Certaines ne m’inspirent rien, il est nécessaire d’avoir des affinités avec le texte.

Qu’est-ce qui a motivé votre choix d’un métier artistique ?

A vrai dire je ne le sais pas vraiment !

J’avais toujours eu une vague envie de ce métier c’est pourquoi après mes humanités, prudent, je ne suis pas entré immédiatement au Conservatoire mais j’ai fait une pause d’un an - un an de réflexion - au cours duquel j’ai pratiqué les boulots d’arrière scène afin d’approcher de plus près ce métier qui m’attirait fortement mais pour lequel je n’étais pas encore tout à fait décidé à me jeter à l’eau. J’ai donc participé à pas mal d’expériences techniques, de la conduite d’une poursuite au Théâtre Royal du Parc à l’installation de la salle du Jean Vilar et de celle de Woluwé, j’ai travaillé notamment dans les ateliers à la construction du décor de " Lorenzacio " et à d’autres montages et démontages de décors. C’était intéressant et passionnant.

Après cette année d’observation, je me suis inscrit au Conservatoire dans la classe de Claude Etienne. Sorti en 82 j’étais absolument avide - voire boulimique - de découvertes, de rencontres. C’était l’anniversaire des 40 ans du Rideau et au chœur d’un grand groupe régi par Claude Etienne et Pierre Laroche, j’avais un tout petit rôle dans " La tempête " mais quel bonheur d’être dans ce merveilleux bateau de créations !!
F.G. La traversée du désert, vous connaissez ?

Pas vraiment, depuis j’ai toujours joué, Claude Etienne m’a fait confiance comme il l’a fait avec de très nombreux jeunes. Son théâtre étant continuellement ouvert aux jeunes comédiens.

Si j’ai toujours joué, notamment en solo dans " Histoires simples " , j’ai parfois plus tard eu l’impression de refaire les mêmes choses, je me dirigeais alors vers d’autres idées. Des projets personnels avec Marie-Paule, avec mon asbl, avec l’asbl Alter-Ego de Christian Labeau également dont je fais partie. Il est certain que pour rester connu tant de la profession que du public, il faut faire des propositions, des expériences professionnelles personnelles ? Il est impératif de rester actif, d’ailleurs cela donne de l’assurance.

J’ai la chance depuis quelques années de faire vraiment des choses qui m’intéressent.

Cependant si je n’avais pas choisi ce métier, j’aurais pu me diriger vers la géographie. C’était une matière qui me passionnait pas mal. A Decroly où je faisais mes humanités beaucoup devenaient géographes. Les domaines urbanistiques, les expéditions, les études scientifiques sur le terrain ou en bureau m’auraient plu, ainsi que le métier de glaciologue sont passionnants et enrichissants.

Vous êtes encore à l’affiche cette saison au Rideau de Bruxelles avec une nouvelle création !!

Absolument pour " P arole et guérison " création en français de la dernière pièce de Christopher Hampton mise en scène par Adrian Brine - qui comme chacun le sait -, est un grand spécialiste du théâtre british. Cette pièce vient d’être créée très récemment n Angleterre
Cette oeuvre sera la création du soixantième anniversaire du Rideau de Bruxelles et débutera donc ce jour-anniversaire : le 17 mars (jusqu’au 20 avril).

Elle relate des faits historiques puisqu’il s’agit de la première psychanalyse faite par Young sur une jeune patiente internée et atteinte de troubles obsessionnels.

C’est cette patiente qui a réuni les célèbres Dr Freud et Young mais c’est également elle qui les séparera. Young ébauchera en effet une relation sentimentale personnelle et Freud - (Bernard Cogniaux)- voyant en lui son dauphin et digne successeur à ses théories, - devant cette erreur comportementale -, très déçu changera d’avis. (Il était pourtant particulièrement satisfait que Young ne soit pas juif comme lui mais suisse-protestant. Empêchant en cela les ragots colportant que la confrérie était uniquement juive).

Suite à cette déception et cette rupture professionnelle, les deux hommes continuèrent leur chemin séparément. Freud devenant de plus en plus scientifique et concret alors que Young devint de plus en plus mystique. Il est vraisemblable que la querelle n’était pas seule en cause mais que leurs egos surdimensionnés y étaient pour une large part.

L’auteur, Christopher Hampton semblait particulièrement documenté sur cette période, il avait notamment connaissance de la correspondance de la jeune patiente. Rien n’y a été inventé ni romancé. Seule la scène finale entre Sabina la patiente (interprétée par Isabelle Defossé) et Young (interprété par Pierre Dherte) n’est pas relatée mais on peut la supposer comme telle !

Un petit bout d’histoire qui fait se poser des questions. Quel aurait été le sens de la psychanalyse sans cette querelle, sans cette rupture d’idées ? …

Des projets déjà pour la saison prochaine ?

Pas encore si ce n’est la reprise de la pièce de Yasmina Reza " trois versions de la vie " en août au festival de Spa. Ensuite, si je ne suis pas distribué j’ouvrirai mon tiroir à projets. Les idées ne manquent pas. Peut-être que ce sera leur heure…


Aucune inquiétude pour Bernard, il a toujours su passer d’un genre à l’autre, d’un théâtre à l’autre, d’une saison à l’autre avec aisance… sourire, malice et talent !!! Pourquoi cela changerait-il ???

Propos recueillis par Fabienne Govaerts.