Fermez les yeux. Ecoutez ces bruits de rue, ces sons rythmés, ces débits de voix, cette musique. Voici Cali. Voici la Colombie. Ouvrez-les yeux. En voici les images, sur grand écran, au fond de la scène.
L’équipe du spectacle a séjourné à Cali pour s’imprégner de cette ville, berceau de l’auteur de la pièce, Andrés Caicedo, météore artistique qui s’est donné la mort il y a bientôt 40 ans. Il en avait 25. D’origine colombienne lui aussi, le jeune metteur en scène Juan Martinez a donc mené sa troupe dans cette ville contrastée où, comme dans tout le pays, grande richesse et extrême pauvreté cohabitent à quelques cuadras* près.
Dans le langage fleuri et coloré de l’auteur, traduit par Juan Martinez et Bernard Cohen, quatre acteurs alternent différents rôles autour d’un personnage principal : Angelita, une adolescente romantique et capricieuse. Nous suivons ces nombreux personnages des quartiers chics aux bas-fonds de la métropole, de la chambre d’Angelita au bordel de Bérénice, la tentatrice. A travers leurs relations amoureuses, amicales et familiales, la pièce tisse le portrait d’un lieu, Cali, et d’une époque, l’adolescence, où l’on est allègrement transporté.
De qualité variable selon leurs personnages, sans doute dû à l’important nombre de rôles qu’ils sont appelés à camper, le jeu des acteurs sert la plupart du temps parfaitement le récit et certains passages drôles et croustillants ne manqueront pas de vous faire rire.
La pièce se caractérise par une mise en scène sobre. Le texte, qui n’était pas destiné au théâtre mais s’y prête bien, se construit autour de monologues éclairants, parfois poignants – on retiendra notamment l’excellente saga d’une bande de jeunes – et de dialogues descriptifs brillants, vivants, rythmés par d’incessantes interventions et bruitages des autres comédiens qui nous plongent dans un brouhaha typiquement latino.
Rythmé, c’est le mot qui convient à ces « Petits anges dans la boue ». Si l’abondance de protagonistes et des histoires ne contribue pas toujours la compréhension du récit, c’est bien l’édification du panorama de Cali et de l’œuvre d’Andrés Caicedo que nous offre Juan Martinez. Cali n’est-elle pas en définitive le véritable personnage principal du spectacle ? Et l’écriture ne transpire-t-elle pas cette angoisse, ces réactions passionnelles et disproportionnées propres à l’adolescence ? Avec la musique et le cinéma comme cœur et comme lien, la violence de la ville et de ses disparités ressort aussi exacerbée que les sentiments des adolescents que dépeint Andrés Caicedo.
Vous aimez voyager ? Venez voir cette pièce. Fermez les yeux puis ouvrez-les bien grands. Voici Cali. Voici la Colombie.
*pâtés de maison