Samedi 8 février 2020, par Didier Béclard

Atelier de bricolage fantastique

Du bois, des clous, de la peinture, quelques outils et des gestes quotidiens, tels sont les ingrédients de « Work » où Claudio Stellato transforme un chantier en drame désopilant. Bricoleurs du dimanche ou bricoleurs avertis, ne faites pas cela chez vous.

Un homme en slip portant une tête d’animal (âne, lapin ou kangourou), martèle des clous fichés dans une planche genre madrier posée sur deux trépieds, avec patience puis de façon plus systématique jusqu’à ce que le métal ait traversé le bois. Il achève le travail en enfonçant un marteau dans la matière pour la fendre dans le sens de la longueur.
Le panneau multiplex en fond de scène se lézarde sous les assauts d’une scie électrique, deux mains apparaissent au-dessus du panneau, deux pieds passent au travers, puis une main, les jambes, et la planche est défoncée.
Un homme, comme enduit de copeaux de bois, se tient dans l’ouverture ainsi pratiquée, rejoint le premier bricoleur juché sur l’une des (demi) planches et ils entament un concours de sciage sur « la branche sur laquelle » ils sont assis. L’un gagne lorsque son morceau de bois cède, l’autre le suit, mais ils n’en restent pas là. Chacun se tient sur deux des quarts (vous suivez ?) du madrier originel et s’enfoncent un clou à travers la chaussure de chaque pied.
Commence alors une déambulation effrénée rythmée par les chocs des skis-claquettes sur le sol.

Le délire do-it-yourself prend de l’ampleur et des couleurs lorsque des liquides blanc, bleu puis rouge suintent du mur submergé par des coulées conséquentes et multicolores qui s’y déversent. Le chantier vire à l’orgie de surprises ponctuées d’agrafage, de mortier, de renversement en quête d’équilibre instable avant le grand final qui laisse à l’atelier des allures d’un chant de ruines. Construction, déconstruction, reconstruction, on a l’impression de sortir d’un baptême estudiantin, pour ceux qui connaissent.

Artiste inclassable aux confins du cirque, de la danse et du théâtre, Claudio Stellato explore les gestes et les objets du quotidien avec le bois comme principal interlocuteur. Dans « L’autre » (2011), il dansait avec des meubles qui bougeaient tous seuls tandis que « La Cosa » (2015, meilleur spectacle de cirque aux Prix de la Critique 2015-16) voyait quatre hommes manipuler et maltraiter quatre stères de bûches pour construire ou détruire des formes.

Avec « Work », Claudio Stellato ambitionne de théâtraliser la banalité du bricolage en laissant ses ouvriers poser des gestes précis dont l’interaction débouche sur un véritable monde parallèle. Les corps et les matières créent un univers absurde et fascinant teinté d’une certaine poésie concrète. Les interprètes s’en donnent à cœur joie sans ménager leur énergie et leur dextérité. Dans une successions de tableaux, les matériaux et les supports se transforment et transforment l’espace scénique au gré d’une logique qui nous échappe mais qui s’avère jouissive, véritable folie libératrice des codes et du mode d’emploi.

Didier Béclard