Il est 22h30 ce mardi 26 juillet 2022. le public du théâtre grec de Syracuse est debout et applaudit à tout rompre après la représentation de « Après les Troyennes » à laquelle il vient d’assister. Le succès est manifeste mais la gestation de cette pièce n’a pas été une promenade de santé pour le chorégraphe Claudio Bernardo et sa Compagnie As Palavras (les mots).
Tout a commencé en 1989 lorsque Claudio Bernardo assiste à la dernière représentation du spectacle « Les Troyennnes » mis en scène par Thierry Salmon (décédé en1998) et mis en musique par Giovanna Marini. Le spectacle qui présente l’œuvre d’Euripide en grec ancien et avec un ensemble de 34 comédiennes touche le chorégraphe pour sa beauté d’abord mais aussi parce qu’il le ramène à sa condition d’exilé qui a quitté son Brésil natal pour se réaliser artistiquement.
En 2017, il entame un travail de recherche puis d’écriture avec Alain Cofino Gomez à partir d’interviews individuelles des interprètes qui racontent leur métier. Ces récits sont mis en projection avec les personnages d’Euripide pour élaborer une pièce construite comme la dernière représentation d’une œuvre jouée depuis longtemps. « On ne sait pas toujours qui parle, explique Claudio Bernardo, laissant le trouble entre personnages et acteurs afin de poursuivre l’émotion ». La tragédie antique rejoint le monde contemporain.
« Après les Troyennes » s’attache à évoquer, au travers d’une série de tableaux interprétés, chantés et dansés, le sort de quatre Troyennes, uniques survivantes du massacre, qui constituent désormais le butin des vainqueurs. Les monologues d’Hécube, Andromaque, Hélène et Cassandre, inspirés des textes d’Euripide, racontent leur humiliation et leurs souffrances. Ils se mêlent aux témoignages des comédiennes et comédiens dont le métier les a poussés, souvent, au nomadisme, voire à l’exil, pour accomplir leur quête artistique.
Les références à la pièce de Thierry Salmon sont nombreuses puisque Claudio Bernardo a repris les textes en grec ancien et la musique de Giovanna Marini à laquelle s’ajoutent le blues musical de Dorian Baste et deux chansons de Nina Simone (« Four Woman » et « The Other Woman »). De plus, trois des comédiennes - Carmela Locantore, Mariagrazia Mandrizzata et Cecilia Kankonda – qui figuraient au générique de la pièce originale sont également présentes.
Sur scène, cinq danseurs, trois actrices, une chanteuse d’opéra et un cameraman donnent vie à ces trajectoires de vie et d’exil par le texte, la danse ou leur chants. La caméra capte en direct le visage des interprètes et les projette en gros plan sur des écrans. Le dispositif est impressionnant et complexe mais géré avec une précision sans faille à l’image de ces personnages qui apparaissent dans un théâtre antique que l’on voit à l’écran et qui semblent, dans une synchronisation parfaite, en descendre pour apparaître sur scène.
La représentation au Teatro Greco de Syracuse est la première de l’œuvre telle que Claudio Bernardo l’avait conçue. Les aléas se sont en effet accumulés tout au long du travail de création. Une réduction des subsides de la Communauté française qui l’a contraint à revoir les moyens dont il disposait, des ennuis de santé personnels et le confinement ont perturbé la réalisation de cette œuvre qui a mis plus de deux années avant de voir le jour. « C’est un processus long et périlleux, explique le chorégraphe, notamment parce que c’est une production en étapes et pas d’un coup comme Thierry Salmon ». Dans le préambule de la pièce, Neptune, interprété par Claudio Bernardo lui même dit une phrase qui semble prémonitoire : « ce soir est la fin d’une longue traversée ».
Mais le résultat est à la hauteur de ses ambitions. Le spectacle mixe les formes dansées, chantées, parlées, avec brio : danseuse et danseurs deviennent chanteuses, acteurs. Les enchaînements sont millimétrés et les prestations de tous les interprètes sont remarquables composant un ensemble de très haut niveau.
Didier Béclard
« Après les Troyennes » de Claudio Bernardo (avec Alain Cofino Gomez) avec Vincent Clavaguera, Elise Gäbele, Maxime Jennes,Cécilia Kankonda,Tijen Lawton, Carmela Locantore, Fatou Traoré, Mimbi Lubansu Thi-Mai Nguyen, Claudio Bernardo et Maria Grazia Mandruzzato
Dans le film : Gabriella Iacono et Johanne Saunier.
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