Assis sur le sol, un homme fixe une chaise vide. Il l’occupe un court moment, puis, tourné vers le public, laisse remonter un premier souvenir :
"Je suis sur la plage. Il fait chaud, le soleil dans le ciel, presque à la verticale. Il fait chaud. Je ne sens pas le sable, pas vraiment. Juste une main..."
A travers des séquences caricaturales, tendres ou symboliques, nous suivons son cheminement intérieur. Né à Toulouse, François Mailliot vibre à l’unisson avec Claude Nougaro, en chantant la ville rose. Il aimerait conserver son accent, vanter la cuisine du sud-ouest, mais engagé comme simple vendeur par le gérant de Général Motors, cet ingénieur accepte de suivre les conseils du coach : " Priorité au politiquement correct et à la stature INTERNATIONALE !." Conforme au gabarit souhaité par la société, il devient rapidement chef de district.
De brefs échos de sa vie familiale nous laissent entendre qu’il a mal répondu aux attentes de son épouse et de ses deux enfants. Se servant d’images et même d’une marionnette , un ami s’efforce de lui faire découvrir certaines vérités. En vain. Et quand on le confondra avec Ali Ben Ami, ressortissant marocain en situation irrégulière, il se sentira entraîné dans une spirale infernale.
Spirale représentée sur le sol par des lignes circulaires. Réduit à cette seule tache de couleur striée, le décor concentre notre attention sur le drame de cet homme écartelé entre ce qu’il était et ce qu’il est devenu. Insensiblement, le mouvement de la représentation s’accélère. Les personnages du gérant, de l’épouse et de l’ami endossent des rôles plus menaçants. Signes que François Mailliot perd pied, est emporté dans un tourbillon qui rend sa perte d’identité inéluctable.
Emmanuelle Mathieu, qui avait déjà collaboré avec l’auteur pour "Tartare", a remarquablement apprivoisé l’écriture de René Bizac. Sa mise en scène fluide exploite efficacement les changements de tons, de rythmes et nous aide à savourer ce texte lumineux et envoûtant. En incarnant François Mailliot avec sobriété et conviction, Benoît Verhaert réussit à nous faire partager le destin tragique de son personnage. Mais son interprétation retenue impose une distance et nous incite donc à réfléchir au sens de cette fable. L’auteur ne cherche pas à nous révolter ni à nous apitoyer. "Il explore par petites touches, comme celui qui peint, les faillites morales de l’homme moderne et les dérives de l’organisation technologique de la vie contemporaine." (extrait de l’édition de "François Mailliot", publié par Lansman).