Les portes du BOZAR s’ouvrent sur une promenade toute en finesse à travers l’œuvre d’un des plus grands peintres du XVIIIème siècle. Deux heures de régal pour la vue et l’ouïe ! Une flânerie aérée de pauses musicales que l’on peut goûter dans des alcôves aménagées toutes les deux salles, au risque de s’y perdre... C’est William Christie (commissaire général de l’exposition et spécialiste de la musique baroque française) qui a sélectionné les intermèdes musicaux. Des extraits de la nouvelle de Pierre Michon Maîtres et serviteurs, disponibles sur l’audio-guide, donnent vie à une époque qui s’éloigne du classicisme pour se tourner vers un style plus enjôleur et intime, le Rocaille.
Fruit de la collaboration entre les palais des Beaux-Arts de Lille et de Bruxelles, l’événement associe concerts, conférences et rencontres pour une réflexion sur la valeur de l’art autour d’un artiste innovateur.
Un tiers de l’œuvre de Watteau montre un musicien s’apprêtant à jouer : violoniste, guitariste, joueur de musette. C’est un prétexte idéal pour un projet interdisciplinaire digne d’une performance à la mesure des défis relevés par BOZAR EXPO.
De toile en croquis, on découvre une personnalité mélancolique et réservée. D’origine modeste, Watteau vivait chez le mécène Pierre Crozat dont il était le protégé et qui fit connaître des compositeurs comme Arcangelo Corelli et Alessandro Scarlatti. La fréquentation des musiciens lui confère un atout par rapport à ses contemporains : une sensibilité particulière pour la grâce des corps et la fugacité du geste musical. Ses toiles La Leçon de musique, La Gamme d’amour, L’Accord parfait , jouent sur le double sens de l’harmonie de la musique et des sentiments.
Si le coup de crayon de Watteau saisit au vol le mouvement qui accompagne la musique, nous visualisons l’artiste au travail sous la précision des mots de Pierre Michon.
Watteau mourut très jeune, à l’âge de 37 ans. Il sera influencé par l’école flamande mais la peinture vénitienne le fascine, tout comme les personnages de la Commedia dell’Arte. Il ne se prive pas de les incorporer librement dans ses toiles et fut le premier à associer la musique, la danse et le théâtre dans sa production, peut-être aussi parce que ses premiers maîtres furent décorateurs de théâtre et de plafonds.
Travaillant en marge du mécénat traditionnel (Eglise, Roi, Cour), il préfère saisir les scènes de la vie dans lesquelles ses contemporains aiment à se reconnaître. Il accède très vite à la notoriété et devient le peintre le plus couru de son temps. Installé à Paris, il est même cité par Baudelaire et Verlaine.
Travailleur acharné, autodidacte, Watteau a légué un nombre impressionnant d’esquisses. On en a recensé 700 mais on estime que leur nombre varie entre 2000 et 4000. C’est son ami Jean de Julienne, un riche entrepreneur, qui à la mort de Watteau chargera les plus grands graveurs, Boucher, Tardieu, Cochin le père, Aveline, Le Bas, de reproduire ses dessins (beaucoup de sanguines) pour les diffuser à travers l’Europe entière. L’ensemble forme l’Œuvre gravé. L’exposition a généreusement puisé dans ces gravures qui montrent toute l’habilité du peintre à reproduire l’instant et la vérité de la gestuelle musicale. Une salle attenante est consacrée aux instruments de musique de l’époque : vielle à roues (instrument pastoral), musette de cour (descendante de la cornemuse dotée un soufflet pour éviter les grimaces), basson et flageolet (dont quelques pièces rares de la dynastie des Hotteterre, musiciens de la Cour). Tous ces instruments sont omniprésents dans les œuvres de Watteau. On peut aussi admirer la reproduction d’un étonnant clavecin du XVIIIème. Des partitions originales (airs sérieux, airs galants, airs à boire) de Marin Marais, André-Cardinal Destouches et Henri Desmarets viennent compléter cette concrétisation des objets que l’artiste aimait détailler sur le papier.
En contrepoint, l’exposition a invité le photographe de renommée internationale Dirk Braeckman à rendre hommage au grand maître par de monumentales impressions où les tableaux de Watteau sont subrepticement éclairés rappelant l’art avec lequel le peintre se sert de la lumière. Une façon de figurer en clair obscur les tableaux les plus fameux que les musées londoniens ont refusé de prêter.
A mi-parcours, une conversation filmée entre William Christie et Pierre Rosenberg (Président-directeur honoraire du Louvre) enrichit le double regard pictural et musical sur le travail du peintre.
La balade réussit l’exploit de piquer la curiosité à chaque étape. Les allers retours entre les thèmes abordés, entre les détails des scènes fixées sur la toile, la magie créée par le décor musical et la découverte du tempérament de l’artiste, maintiennent le visiteur en haleine. Il y a de quoi ravir à la fois les amateurs de peinture, de musique ou de simples anecdotes. Une belle sortie en famille, relaxante, émouvante, qui laisse une sensation de plénitude.
Palmina DI MEO