Mosaïque d’images rappelant une série de révoltes contemporaines. Elles font écho à la rébellion d’Antigone. A l’issue d’une guerre qui vit s’entretuer ses deux frères, le roi Créon, son oncle, menace de mort quiconque oserait rendre les devoirs funèbres à Polynice, le "mauvais frère". Ulcérée par cette injustice, Antigone brave l’interdiction, en recouvrant le cadavre de terre. Elle aime passionnément la vie, mais son devoir l’oblige à renoncer aux joies et aux illusions de l’enfance.
Créon menait une vie de dilettante, aimant la musique, les belles reliures et les flâneries chez les petits antiquaires de Thèbes. A la mort d’Oedipe et de ses fils, il s’est retroussé les manches et a dit oui au métier de roi. Une "sale besogne", à laquelle il s’est senti condamné. "Si on ne la fait pas, qui la fera ?" Malgré son caractère renfermé, Créon aime bien sa nièce. Et puis, c’est la fiancée de son fils Hémon. Aussi, quand il la voit menottée au milieu des gardes, il s’empresse de mettre ceux-ci au secret, espérant étouffer l’affaire. Mais comme Antigone est prête à recommencer, il va multiplier les arguments, pour apprivoiser la petite sauvage.
Orchestré avec souplesse par Fabrice Gardin, le duel est incertain, âpre, intense. Bernard Sens incarne un Créon sincère et habile. L’orgueil de la fille d’Oedipe l’exaspère, mais il se domine pour démystifier cyniquement les rites religieux, les discours politiques ainsi que les réputations d’Etéocle et de Polynice. Ebranlée un moment, Antigone se rebiffe contre le "sale espoir". Elle refuse "d’arracher avec ses dents son petit lambeau de bonheur." Son non à la vie prend un autre sens. Wendy Piette vit cette révolte avec une énergie farouche. Habitée par son personnage, elle exprime avec la même justesse, les déchirements, les doutes et les regrets de cette écorchée vive.
Pour illustrer la richesse de Thèbes, qui attise les convoitises, Ronald Beurms l’a immergée dans le fatras des tuyaux d’un complexe pétrochimique. Dans ce décor écrasant, les adieux masqués d’Antigone à ceux qu’elle aime ne suscitent pas l’émotion attendue. Heureusement que l’affrontement majeur de la pièce se déroule dans un cadre dépouillé. Sous les traits d’un paparazzi, Benoît Verhaert joue les rôles du choeur et du messager. Avec un certain détachement, il nous annonce le sort de chaque personnage. Pas de suspense. "C’est propre la tragédie, c’est sûr." Quand le mécanisme est déclenché, rien ne peut l’enrayer. Et lors du dénouement, ce commentateur ne souligne pas l’horreur de l’hécatombe, mais le repos auquel chacun a droit.
Renvoyant dos à dos Antigone, qui ne sait plus pourquoi elle meurt et Créon, qui exerce son métier sans illusions, Anouilh propose une vision pessimiste de la destinée humaine. Cependant, écrite dans une langue directe, chaleureuse, poétique, pimentée parfois par un humour grinçant, sa pièce nous invite à apprécier la vie.
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