Après mon bac, j’ai commencé des études de lettres à Caen et j’ai été jusqu’à la maîtrise (4 années). Ensuite il y avait ce programme ERASMUS interuniversitaire qui me tentait bien et j’ai choisi Anvers ! Ce n’est évidemment pas super exotique d’aller à Anvers quand d’autres vont à Salamanque par ex. mais cette université était assez réputée dans le sens où elle avait l’équivalence avec la France. Tu faisais un an à Anvers et après tu avais exactement l’équivalence avec Caen.
Et c’était des études de quoi à Anvers ?
Des romanes ! Des romanes à Anvers, c’est drôle, non ? Donc je me trouvais avec des romanistes néerlandophones qui avaient tous leurs cours donnés en français par des professeurs, par ailleurs excellents.
À la fin de ces 9 mois Erasmus, je me suis demandé ce que j’allais faire, parce que je n’avais pas forcément envie de devenir prof et qu’avec des études de lettres tu n’as pas 100.000 possibilités. Moi, j’étais plutôt intéressée par l’action culturelle.
Or, dans l’été qui a suivi, j’ai accompagné des jeunes élèves néerlandophones dans une structure de camp de vacances pour apprendre le français. Encore une fois, tout se passait en français.
Et là, j’ai rencontré des Bruxellois qui m’ont dit « Viens à Bruxelles, il s’y passe plein de choses, notamment du point de vue de l’action culturelle. » J’y ai été, et en 2 jours, j’ai décidé d’y rester !
De là je me suis inscrite au CET à Louvain-la-Neuve et j’y ai fait un an donc la 1ère licence.
Ce n’est pas l’IAD ?
C’est-à-dire que les cours se passent à côté des cours de l’IAD, mais à l’époque, il n’y avait pas tellement de liens entre les 2 puisque le CET est universitaire. Tu as plein de profs français, pas QUE des Français, mais beaucoup de profs de Paris qui viennent donner des cours ou conférences comme Jean-Pierre Sarrazac ou Georges Banu. Cela me plaisait, mais à la fois c’était très théorique. Trop. Je me disais que je n’étais pas où j’avais envie d’être et que j’avais aussi envie de pratiquer. Donc j’ai commencé à prendre des cours à l’Académie d’Uccle avec Francis Besson, et en même temps, il y avait la quinzaine théâtrale, qui réunissait plein de projets amateurs mais il y avait aussi des professionnels qui venaient. C’est ainsi que j’ai rencontré des gens de l’INSAS avec qui on a monté Kvetch de Steven Berkoff. Dès lors, j’ai commencé à rencontrer de plus en plus de gens de théâtre.
À la fin du CET, on avait la possibilité de faire des stages et j’ai fait mon stage Observation à la Mise en Scène avec une amie du CET qui était 1e assistante sur l’Opéra de 4 sous qu’a monté Carlo Bozzo, il y a 7-8 ans avec le Théâtre de l’Éveil. L’assistante nous a quittés et Carlo m’a dit : « Tu restes, tu continues à faire ce que tu as fait pendant les 10 premiers jours ». Et puis au bout d’un mois Guy Pion m’a dit « Moi, j’ai envie que tu reviennes pour la 2e partie ».
J’ai donc appris sur le tas, car le boulot d’assistante, je ne le connaissais pas très bien. J’ai été confrontée à des comédiens comme Résimont , Patrick Brüll, Guy Pion… Il y avait aussi Pascal Charpentier chargé de la partie musicale… Bref, on était une trentaine sur ce projet et j’ai fait le 2e mois d’assistanat, et puis 15 jours après le début des répet’s, Guy et Carlo m’ont proposé un petit rôle dans la pièce. En fait, j’ai suivi le processus du début à la fin pendant 5 mois.
Pendant ce projet, j’ai mis le CET de côté – les études théoriques ça va, j’ai donné – et je me suis inscrite chez Lassaad
Qu’est-ce que ces premiers pas, respectivement à l’Académie et chez Lassaad, t’ont apporté ?
Pour l’Académie, moi je trouve cela assez chouette de permettre à plein de gens d’avoir des cours de théâtre quasi gratuitement. Dans beaucoup de régions de France il n’existe pas une telle maison pour tous où l’on se réunit 1 à 2 x par semaine pour apprendre. C’était une première expérience. On travaille des petites scènes et bien sûr, il y a un examen à la fin de l’année mais c’est un peu … enfin pas grand-chose…
Lassaad m’a beaucoup intéressé parce que le travail de Jacques Lecoq à Paris se base beaucoup sur les mouvements du corps. Mais je n’y suis restée que 6 mois parce que je n’y trouvais pas mon compte. Principalement dans les retours des enseignants. On me disait « cherche ! » Moi je veux bien chercher, mais il y a un moment où il faut me mettre sur des pistes !
Et puis grâce au CET, j’avais rencontré Pierre Noël, programmeur de l’Eden à Charleroi, qui m’avait dit : « Viens voir Frédéric Dussenne, c’est quelqu’un à rencontrer » Et Frédéric - qui à l’époque montait Phèdre - avait organisé une journée pour parler de son travail à des profs de français et, à l’issue de la journée, professeurs et élèves étaient conviés à une représentation. J’ai assisté à cette journée et comme ce qui était proposé au niveau du texte m’interpellait, j’ai décidé de faire le pas et de présenter une école de théâtre…
Mais j’avais déjà 24 ans et j’étais un peu formatée par le système élitiste français. Comme - en faisant abstraction des écoles privées - il y a à peu près le même nombre d’écoles de théâtre en Belgique francophone qu’en France il est clair que si je me présente en France où ils sont 500 à présenter les examens, je ne vais jamais entrer…
Donc tu entres au Conservatoire de Mons chez Frédéric, et en sors avec un premier prix (distinction), et après cela ?
Tu dois chercher à te former en permanence. Tu dois trouver ce qui te convient le mieux, en fonction de ce que tu cherches à obtenir, en fonction de ce que tu es.
Alors parle-moi de ces cours de souffle-voix que tu suis, je crois, avec un certain Abdelmalek Kadi qui donne des cours privés à Ixelles.
Je suis contente qu’on en parle car c’est vraiment important pour moi. C’est un cours que je suis depuis l’Opéra de Quatre Sous en 1999. En fait Kadi travaille sur base de la méthode mise au point par Serge Wilfart, un chanteur d’opéra. Pour moi c’est un cours fabuleux. Je cherchais ça depuis longtemps et quand on m’en a parlé, j’ai su que c’était exactement ce qu’il me fallait. C’est un travail de longue haleine car il faut tout déconstruire. Lui il part de la base : ton bassin ! En fait, on positionne toujours mal son bassin et avec Kadi on fait un travail de déconstruction qui mène au centre : les jambes tiennent le bassin et puis après ça se reconstruit sur base de la colonne vertébrale qui va tenir le reste. Si on retrouve son bassin, ça tient tout seul. Le travail sur le souffle et la voix est super intéressant pour le quotidien, pour n’importe qui d’ailleurs. Il te donne des outils, qui au fur et à mesure que tu suis ce chemin te permettent d’affiner de plus en plus.
En tant que comédienne, qu’est-ce qui est le plus difficile, qui te donne le plus de mal ?
Peut-être, paradoxalement, de montrer son corps. Le paradoxe étant qu’en choisissant ce métier, tu choisis forcément d’être vu. Et dans le cas du JOUR DE LA COLÈRE , c’est encore plus flagrant. La mise en scène veut qu’on soit tellement proche du public qu’il n’y a pas moyen de tricher : Tu es toi, tu dois l’accepter et tu dois laisser vivre sans te poser de questions, sans rien fabriquer par rapport à ça. C’est aussi sur cela que Frédéric travaille : dans le silence, laisser voir ton corps.
Pendant les répétitions, vous n’avez pas eu ce public si proche, ce public qui était tout autant éclairé que vous, plutôt que d’être anonymement relégué dans le noir… Est-ce que ce n’est pas dérangeant ?
Ah oui, habituellement on sent le public et on ne le voit pas. Avec la courte expérience de ces 2 jours, j’ai envie de dire qu’il est plus facile de le sentir que de le voir. Ici c’est ce qui est proposé : c’est le miroir, mais c’est étrange. Tu vois, hier j’ai eu un court instant où je cherchais ma partenaire Edith… Dans ce qu’on a fait avec Fred tout est très construit. Elle est LÀ… je le SAIS…, mais elle est habillée comme vous, elle se fond, perdue et englobée dans le public… Une seconde de vertige … et puis Ah oui, ça va !
Thierry Debroux nous a proposé de décortiquer à sa manière des personnages historiques : Sand, Louis II de Bavière et tout récemment Mary Shelley avec Mademoiselle Frankenstein, alors avec ce titre LE JOUR DE LA COLÈRE, je ne pensais pas en retrouver un de plus, surtout que ce n’était même pas évoqué dans les annonces presse. Cette fois encore, le personnage d’Ulrike était super bien documenté et donc je me suis demandé a posteriori si elle avait été le point de départ, d’autant qu’elle n’apparaît qu’au milieu de la pièce ?
En effet, LE JOUR DE LA COLÈRE est une pièce commandée sur le personnage emblématique qu’est Ulrike Meinhof . À partir de là, Thierry a fait le rapprochement avec le terrorisme et ce qu’on a vécu depuis des attentats comme le 11 septembre. Qu’est-ce qui a changé ? Comment moi Thierry Debroux je vis ça ?
Tu travailles parfois en France ?
Oui, on m’a invité à travailler en France. Après LE LIVROPATHE, je n’avais rien de prévu et je me suis dit que j’irais bien y faire un petit tout car je n’y connais personne dans le milieu théâtral français. Et c’était intéressant parce que c’était différent.
Lorsque tu travailles avec des comédiens français, quel regard portent-ils sur le théâtre en Belgique ?
On sent les Français qui regardent de plus en plus vers le Nord et qui se disent « Tiens, il se passe des choses à côté de chez nous ». Bien sûr, il y a eu tous les prix de cinéma, mais je dirais qu’il y a avant tout un certain état d’esprit propre aux comédiens et artistes belges qui sont reconnus comme étant des gens beaucoup plus simples et qui ne se prennent pas la tête. Moi, j’ai entendu dire à Paris, même de gars comme Poelvoorde, « Avec ce mec-là on peut bosser, c’est pas un mec qui fait des caprices toutes les 5 minutes ». Les Belges sont des gens rigoureux dans le travail et ça, je crois que les Français apprécient, parce qu’ils ne trouvent pas forcément cela en France. Comme de toute façon, en France ça va mal, ils se disent qu’à côté, ça a l’air d’aller un peu mieux !
Ce que les Belges font, c’est plus léger dans la manière de voir les choses. Pour le Français, ça peut paraître ringard de raconter une histoire avec un début, un milieu et une fin, et il y a toute une partie du théâtre français, plus du côté du théâtre subventionné, qui se prend la tête pour que ce soit compliqué. Genre Faut pas forcément que les gens comprennent tout de suite, tu vois ? Et ainsi, parce que d’un côté on a Mon cul sur la commode et de l’autre les intellos qui se prennent la tête, on a exclu de gens du théâtre… Alors qu’on peut raconter une histoire toute simple et rassembler des gens autour de cela.
Voici donc un portrait d’Anouchka, charmée par la Belgique et enchantée d’y vivre. Pourtant, sur la fin de notre entretien qui fut fort chaleureux et dont je la remercie, un petit bémol : sa colère à elle : le fait de regretter, peut-être naïvement, que dans le milieu théâtral tout se passe comme partout ailleurs ! Comme si les gens de théâtre au sens le plus large, y compris les institutions théâtrales, ne tenaient pas compte de ce qui est justement dénoncé sur les planches… et particulièrement dans LE JOUR DE LA COLÈRE !
Propos recueillis par Nadine Pochez