Suite aux réactions reçues à la rédaction, l’équipe de comedien.be précise encore une fois que le texte des interviews n’engage la responsabilité que de la personne interviewée. C’est particulièrement vrai dans ce cas-ci.
Carolo de l’année, Chevalier de l’Ordre de Léopold II, directeur du Vaudeville mais aussi comédien, metteur en scène, ouvreur… Il n’y a pas de sot métier dit-on. Alain Lackner coiffe toutes les casquettes et combine leur couleur pour faire vivre le théâtre du peuple à et de Charleroi.
Alain Lackner, vous êtes Chevalier de l’ordre de Léopold II.
Oui, d’ailleurs les comédiens du Vaudeville m’ont offert un cheval de bois qui va avec ☺ Oui, j’ai reçu cet honneur pour tout le travail fait pendant vingt ans au Vaudeville, enfin, à la direction du Vaudeville. Avant j’étais comédien. Je mets aussi en scène mais seulement depuis une dizaine d’années.
Vous avez aussi été élu « Carolo de l’année ».
Oui, c’est un concours organisé depuis trois quatre ans. J’ai été surpris d’être nominé mais je pense que c’est dû au problème que rencontre le Vaudeville cette année : il est exproprié. Donc on sensibilise tout le monde, autant le public que les médias. Je pense que la nomination est un coup de pouce par rapport à cela. Si j’ai été élu, c’est grâce aux spectateurs, c’est le peuple qui vote. C’est plus honorifique qu’autre chose ; j’ai remercié les spectateurs dans un communiqué de presse.
Vous êtes directeur, metteur en scène et comédien. Est-ce tout ? (Ironie)
Non, j’ai aussi fait les décors, je fais la trésorerie, je tiens les entrées…
Quand je suis entré au Vaudeville en 1987, c’était pour jouer dans Les Trois Mousquetaires, cette pièce était, en fait, un pastiche, et c’est là que j’ai fait la connaissance de Jean-Michel Thibault. Il s’est retrouvé ensuite en difficulté car ses décorateurs l’ont laissé tomber et c’est en tant que décorateur et comédien que j’ai commencé. Malheureusement le 6 décembre 1990 il est décédé. Alors la question qui se posait, était de savoir si on laissait mourir ce théâtre ou si on prenait son courage à deux mains pour le faire vivre. Comme c’est une passion chez moi, j’ai décidé de reprendre le théâtre, avec toutes les difficultés que ça comporte. Et vu la situation, je me suis retrouvé à faire beaucoup de choses : balayeur, décorateur, je m’occupais de l’administration et j’allais voir le ministre… C’est une très bonne formation et une bonne leçon de vie.
Le plus dur dans tout cela étant la gestion des comédiens. Dans le vaudeville en général, on construit une pièce autour d’un, deux voire trois comédiens qui sont très bons. Et on les retrouve dans d’autres pièces car il y a un attachement qui se fait entre eux et le public. Il m’est arrivé d’avoir des comédiens que j’ai beaucoup engagé et puis plus car j’ai laissé leur chance à d’autres plus jeunes et une certaine jalousie s’est installée. D’autres se prennent pour des vedettes et me disent que c’est grâce à eux que le théâtre à un certain succès. Je n’aime pas le vedettariat, il faut rester humble. Dans mon théâtre j’essaie de former une famille. Pour moi un premier rôle doit un jour accepter de dire : Madame est servie !
Par ailleurs, quand un vaudeville fonctionne, ça marche aussi au niveau financier. Donc on construit son programme en sachant que telle ou telle pièce va avoir beaucoup de succès et de bonnes retombées financières. Dans la même programmation, je peux ainsi monter autre chose de plus compliqué, de plus difficile, comme La Ménagerie de Verre de Tennessee William même si je sais que je vais rencontrer un public différent et que ça va être un four. Dans la région, il y a un public pour ce genre de pièce, un certain public est demandeur mais cela attire moins de monde qu’une comédie. Financièrement ça va être plus dur. Donc j’équilibre au maximum mon programme.
À partir du moment où vous avez repris le théâtre, vous n’avez pas tout de suite mis en scène. Pourquoi ?
Je ne m’en sentais pas capable. Je jouais, je me donnais des petits rôles en général. Il m’arrivait à l’entracte d’aller tenir le bar même quand je jouais.
Je me suis donné quelque rôle important comme Vol au-dessus d’un Nid de Coucou et certains rôles du répertoire de Molière mais c’était plus rare.
Donc vous avez mis en scène à partir de 1997. Quel a été le facteur déclencheur ?
Le fait accompli. J’avais demandé à quelqu’un de faire la mise en scène et ça ne fonctionnait pas ; je l’ai remercié et je me suis lancé. C’était un vaudeville j’avais peur mais j’avais l’expérience du vaudeville. Par contre après j’ai de suite monté Douze Hommes en Colère de Reginald Rose et cela a été ma première grande expérience.
Vous allez fêter les 25 ans du Vaudeville. Qu’allez-vous faire pour célébrer l’évènement ?
On va marquer le coup en reprenant la pièce Ladies Night [1] . Ça a été un évènement ! On avait même organisé des soirées rien que pour les femmes. Et jouer devant ce public féminin c’était très impressionnant..
Je n’organiserai rien d’autre parce que pour le moment je ne peux pas investir dans des spectacles qui coûtent trop cher vu que notre expropriation nous amènera à couvrir des frais dont on se serait bien passé. Je suis en contact avec le complexe des cinémas Marignan. Si ça fonctionne, cela engagera inévitablement des frais de déménagement et de transformation.
Si on déménage et qu’on se retrouve au Marignan, on fêtera d’autant mieux les 30 ans !
Il reste un « si » parce que le Vaudeville est en concurrence avec le cinéma Le Parc, cinéma d’art et d’essai. La ville s’oppose à mon projet et elle prétend y installer le cinéma Le Parc. Au départ je me disais qu’on pouvait s’installer ensemble, pourquoi ne pas avoir un endroit où se retrouve le cinéma et le théâtre mais je ne suis plus aussi convaincu.
Aujourd’hui soyons concret, il y a un manque de réalité par rapport à la culture à Charleroi. Tout le monde ou presque possède un grand écran et un lecteur DVD et les offres internet de vidéo à la demande sont de plus nombreuses, certains films comme Bienvenue chez les Ch’tis fonctionnent très bien et c’est tant mieux. Mais sinon le cinéma n’a plus autant de succès. D’autant plus qu’ici, ils (le cinéma Le Parc) veulent présenter des films en version originale dans une salle de 340 places. Mais qui ça va attirer ?
Alors qu’économiquement parlant, le théâtre du Vaudeville va attirer 4500 personnes par mois, les retombées économiques au niveau des restaurants et des boutiques vont être bien meilleures qu’avec le cinéma.
Si encore ils voulaient installer le cinéma dans une des deux petites salles dans lesquelles la capacité est de 120-150 places, alors d’accord et créons des évènements spéciaux dans ces salles-là.
Est-ce que la culture à Charleroi doit être faite uniquement pour une population extérieure ? Doit-elle aller à l’encontre du public carolorégien et du populaire ? L’avenir est au théâtre, j’y crois beaucoup
Le Vaudeville : en est-on venu au vaudeville par choix ou parce que le public n’était demandeur que de ça ?
C’est la question effectivement. Quand on porte un nom comme celui-là il faut assumer et les gens viennent ici pour se divertir.
Jean-Michel Thibault avait essayé de programmer autre chose et à sa suite, je le fais aussi. Sans prétention aucune, on essaie d’éduquer le public à autre chose.
J’ai programmé Jean Anouilh, des Molière… Petit à petit les gens y viennent. Ma programmation est donc faite pour leur plaire. Je programme par exemple Tout Bascule d’Olivier Lejeune dans laquelle il y a une bonne mécanique. Par ailleurs je programme la même année Petits Jeux sans Conséquence, pièce qui démarre sur le thème du mensonge ; cela va interpeller le public autrement. Je programme des comédies mais j’essaie chaque fois d’avoir quelque chose de différent.
Si , il y a 25 ans, Jean-Michel Thibault a appelé son théâtre « Le Vaudeville » c’est qu’il y avait une raison à la base…
Oui. Le problème à Charleroi ce sont les opérateurs culturels. Le Vaudeville est venu suite au Théâtre de l’Ancre qui a été fondé par Jacques Fumière, Didier Sustendael et Jean-Michel Thibault.
Au début du Théâtre de l’Ancre c’est Jean-Michel Thibault qui était programmateur et il y avait une association entre le théâtre et la Comédie Claude Volter. Claude Volter est venu jouer La Reine Morte, Long Voyage vers la Nuit, Pour Cent Briques t’as plus rien… À ce moment-là, le répertoire du Théâtre de l’Ancre était beaucoup plus diversifié. Il y a eu de l’engouement pour ce théâtre qui, à l’époque, n’avait pas de lieu propre. À partir du moment où le théâtre a obtenu sa subvention, son contrat-programme, un homme est sorti du lot : Jacques Fumière. Il en a été fini du théâtre de divertissement, il n’y a plus eu que du théâtre contemporain. Le trio n’existait plus non plus.
Ce n’était pas l’option de Jean-Michel Thibault. Il pouvait jouer des drames sans problème, mais sont but n’était pas là. Donc sur fonds propres il a créé le Vaudeville à Charleroi.
Sans vouloir jouer les martyrs, depuis lors moi je n’ai eu que des bâtons dans les roues. Si je dis à la fin d’une saison que j’ai fait 28 000 spectateurs, M. Fumière dit que ce n’est pas vrai ! Mais il n’a jamais mis les pieds dans ce théâtre, il n’est jamais revenu voir. On me dit qu’on fait du théâtre facile. Pour moi le théâtre de divertissement est quelque chose de très important. Je suis là d’abord pour distraire les gens et leur faire oublier leurs soucis. Et on peut faire passer des choses très sérieuses dans l’humour. C’est ma conception des choses et il n’est pas d’accord. Par rapport à mon travail, je n’ai jamais obtenu de reconnaissance. Il n’y a pas moyen d’obtenir un entretien au Ministère de la Culture pour s’expliquer clairement. Il existe une quantité invraisemblable de personnes qui croient que le théâtre contemporain est la meilleure des choses mais ces personnes oublient complètement l’avis du public.
Si Fumière estime que sa façon de penser est la meilleure, grand bien lui fasse. J’ai les mêmes problèmes avec le Palais des Beaux-Arts et avec Pierre Bolle. Je me rends compte que les grands opérateurs de Charleroi vont dans une certaine culture. Je ne dis pas que ça ne doit pas exister, qu’on ne doit pas offrir de théâtre contemporain mais dans le théâtre, c’est comme dans le système de l’enseignement et de l’éducation : tant qu’on n’a pas les bases, personne n’ira jamais voir du théâtre élitiste et contemporain. C’est ma façon de penser. Je pense donc que si Jean-Michel Thibault a choisi ce nom du Vaudeville c’est parce que lui voulait absolument offrir le divertissement, que ce soit un plaisir pour les comédiens mais aussi pour le public.
Comment voyez-vous le Théâtre de la Moutonnerie ? Est-ce un tremplin en attendant que le Vaudeville trouve une maison d’accueil ?
Il faut d’abord revenir sur un épisode extraordinaire de la ville… Il y a 5 ans, le propriétaire de l’espace Trianon — dans lequel se situe le Vaudeville — se retrouve avec des difficultés financières. Il possède aussi les cinémas Paradiso et Marignan et menace des les fermer s’il n’obtient pas une aide de la Ville transmise sous forme de détaxation communale sur les places de cinéma lorsqu’il organise des matinées pour les enfants, le troisième âge… Les commerçants craignent cette fermeture puisqu’ils perdraient des clients.
À ce moment, Monsieur Renard, échevin de la culture, et Monsieur Sonnet viennent me trouver car je voulais créer une école privée de théâtre avec une formation complète comme l’étude du corps, de la musique… Mais on a peur que cela se fasse ici à Charleroi, ils veulent la localiser à Mons, Liège ou Bruxelles mais pas à Charleroi. Je ne vois pas pourquoi car les gens sont demandeurs pour ça. Du coup je rentre un dossier et tout le monde finit par être d’accord, on veut bien m’installer au Paradiso et la Commune va me donner de l’argent pour que je la rétrocède sous forme de loyer. J’avais déjà dans l’idée de transformer les 4 salles : 3 salles de cours et 1 salle de spectacle complémentaire. Celle-ci aurait permis de proposer des spectacles très différents par rapport à la programmation du Vaudeville tout en donnant leur chance à des jeunes troupes et en même temps un lieu dans lequel ils pourraient s’exprimer. Finalement, le propriétaire a dit non et a vendu. Donc mon projet est tombé à l’eau. Je suis retourné voir le Bourgemestre Jacques Van Gompel …. Il m’a donné raison quant à mon projet et m’a alloué pour 4 ans une subvention pour mon école. Le bâtiment de la Moutonnerie étant libre à ce moment-là, je l’ai donc loué en me disant que je donnerais mes cours là-bas et que des jeunes troupes y feraient des spectacles. J’ai lancé le projet cette année-ci et même si les conditions de location me font perdre de l’argent, mon but est de le faire connaître et de permettre à des jeunes de créer des spectacles.
Que pensez-vous de la programmation du Théâtre de l’Ancre ?
Il existe des pièces bien plus nécessaires à la vie. Est-il absolument nécessaire de mettre sur scène quelqu’un qui, pendant 2 heures va raconter qu’elle a assassiné ses enfants pour un motif qui lui propre et qui implique les difficultés de la vie… Je n’en suis pas sûr. Pourquoi ne pas programmer des choses classiques comme Oscar Wilde. On peut le jouer de trente manières différentes mais au moins il y a du contenu là-dedans. Parfois on fait jouer des comédiens dans le plus simple appareil et ils se baladent d’un côté à l’autre de la scène, il y a quatre phrases sur toute la pièce. Mais qu’est-ce-que ça raconte, qu’est-ce-qu’ils viennent faire là. Toute leur programmation est contemporaine alors qu’isl pourraient proposer quelque chose de plus classique et en tout cas varier la programmation d’avantage. Je ne dis pas qu’il ne faut pas programmer des choses comme ça, cela doit bien sûr être vu, la question que je me pose c’est : Est-ce que ça va toucher les jeunes ? Est-ce que c’est ça qui va les faire venir au théâtre ?
Je constate de plus en plus que des professeurs de français font la démarche de venir chez nous le soir, pas en matinée scolaire, justement pour ne pas que les élèves se disent que ce sont deux heures durant lesquelles ils ne vont pas au cours. Le soir, en général, ils viennent par petits groupes, pas par classe entière. Ont-ils compris qu’il faut donner aux élèves quelque chose d’accessible afin qu’ils ne se disent pas que le théâtre c’est uniquement de la masturbation intellectuelle et que des choses se disent. J’ai rencontré énormément de difficulté quand les élèves sont venus voir Le Journal d’Anne Frank. Certains m’ont dit que c’était comme un bon film d’action. Alors si ces notions fondamentales ne sont pas acquises, comment vont-ils réagir devant des choses plus métaphysiques, plus pointues ? Quand Patrick Descamps était là, il avait commencé à donner une autre tournure. Il avait programmé une pièce de Jean-Marie Piemme, elle parlait du problème juif avec une tournure qui avait un sens et qui allait vers des choses très sensibles. Et quand il a voulu monter un polar qui était Garde à Vue qui pose des problèmes de relation de couple, Monsieur Fumière refuse et appelle ça le répertoire des Galas Karsenty.
Est-ce valorisant de dire qu’on ne s’adresse pas au public de Charleroi mais à un public extérieur comme le fait Monsieur Fumière ? Qu’est-ce qu’il entend par là ? Que les 4500 personnes qui viennent à mon spectacle sont des imbéciles parce qu’ils viennent voir des choses faciles ? Moi je ne pense pas ça du public de Charleroi et de mes spectateurs. S’ils viennent et reviennent, – certains en famille avec enfants et petits-enfants – c’est qu’il y a quand même quelque chose qui se passe.
Avez-vous entendu parler de l’expo « Mai’tallurgie » ? Elle est créée pour donner une dimension artistique aux quartiers difficiles et changer l’image négative que les gens en ont. Donc c’est pour que Charleroi se tourne vers Charleroi et qu’à l’extérieur, en Belgique on change d’opinion par rapport à ce qu’on sait ou ce qu’on croit connaître de la ville.
J’espère que ça va marcher, que l’impact sera fort et bon. En Belgique on a honte de dire que l’on vient de Charleroi. Et à l’extérieur du pays, aux Etats-Unis par exemple, tout ce qu’on en sait c’est l’histoire de Dutroux. Ils peuvent venir ici au théâtre pour en parler, je veux bien les aider à promouvoir leur exposition dans le théâtre, au sein mon public.
L’invitation est lancée...
En résumé…
Le public de Charleroi est chaleureux, il aime se divertir avec des vaudevilles de qualité, mais il faut toujours le convaincre, le séduire, et même si, a priori, il ne veut pas faire l’effort d’aller vers des choses dures, tristes, si il est ému par l’intrigue, l’interprétation, la scénographie ce sont ses spectacles-là qu’il gardera en mémoire.
Propos recueillis par Sophie Didier le 21 mars 2008.
Programmation au Vaudeville de Charleroi :
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• du 5 au 26 avril : Un Vrai Bonheur de Didier Caron
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• du 17 mai au 7 juin : Un Grand Cri d’Amour de Josiane Balasko.