Agatha
De Marguerite Duras
Mise en scène : Michael Delaunoy
Avec : Anne Claire et Serge Demoulin
C’est un salon dans une maison inhabitée. Une fenêtre laisse passer la lumière d’hiver. On entend le bruit de la mer. Il y a là un homme et une femme. Ils se taisent. Ils sont debout, adossés aux murs, aux meubles, comme épuisés. Ils ne se regardent pas. On dirait qu’ils se ressemblent. Ils se parleront dans une douceur accablée, profonde. Un des plus beaux textes de Marguerite Duras, mettant en scène la séparation déchirante d’un frère et d’une sœur, unis dans un amour impossible et secret.
La vie de Duras est une vie, et les romans de Duras sont des romans. Elle n’a cessé d’écrire une histoire de chaleur et de pluie d’orage, d’alcool et d’ennui, de parole et de silence, de désir fulgurant aussi. On peut s’interroger longuement sur sa personnalité : méchante ou douce, géniale ou narcissique. Il faut avant tout la croire quand elle dit : « Je suis un écrivain. Rien d’autre qui vaille la peine d’être retenu. » Quelqu’un qui dit la nécessité, la difficulté, la terreur de dire. Pour que le monde soit vivable, il faut exorciser les hantises mais l’écriture revient autant à cacher qu’à dévoiler. Alors, Duras tâtonne, se reprend, cherche le mot juste, « essaie » d’écrire, comme on essaie d’aimer, en sachant qu’on n’y arrivera jamais tout à fait. Ses romans s’ordonnent souvent autour d’une explosion centrale, un instantané de violence qui donne naissance au discours : Hiroshima et l’amour, la mort et le désir physique, symboliquement mêlés. « Détruire, dit-elle. » Et cette parole s’apparente à la musique : elle est ce qui revient toujours, comme la mer, variation infinie sur un thème, litanie et célébration, maîtrise et débordement...
Un spectacle de la compagnie l’Envers du Théâtre
Du 27/02 au 29/03/2008 - les mardis à 19h, du mercredi au samedi à 20h15
Les dimanches 2 et 23/03 à 16h
Réservation : 02/223 32 08
Jeudi 20 mars 2008
Sentiments à l’état pur
Agatha porte bien son nom : car ce texte de Marguerite Duras est une vraie pierre précieuse. Le matériau idéal pour ciseler un petit bijou théâtral, ce que Michaël Delaunoy a réalisé avec brio.
La petite salle du Théâtre de la Place des Martyrs offre l’intimité nécessaire à cette confrontation intense. La scénographie ne pouvait qu’être dépouillée. Un large escalier constitue le décor : symbole d’arrivée, de départ, de retour et tout simplement symbole de la maison –la "villa Agatha"- qui convoque petit à petit les souvenirs d’enfance et de jeunesse des deux personnages. Le bruit lointain des vagues de la mer et quelques notes de piano font écho au passé qui refait surface, tout en amenant subtilement le spectateur à pénétrer dans l’univers des sentiments à la fois très simples et terriblement complexes des protagonistes du drame.
Les deux comédiens occupent magnifiquement l’espace-escalier et prononcent chaque mot avec une précision et une justesse rares. Chaque seconde de silence est lourde de sens, chaque mouvement du corps, si petit soit-il, semble traduire un mouvement de l’âme… Anne-Claire irradie dans le rôle d’Agatha. Serge Demoulin offre sa voix limpide et belle au frère transi et révolté intérieurement.
Si Duras aborde les thématiques fondamentales de la condition humaine (amour impossible, séparation, temps qui passe, relations familiales, …) sous un angle d’approche audacieux car socialement inaccepté voire tabou –l’inceste-, la mise en scène de Michaël Delaunoy crée une atmosphère sobre, douce, tout en retenue, et confère ainsi au texte des accents tantôt poétiques tantôt mystiques.
Le pari du metteur en scène de "donner à entendre la musique de ce dialogue secret" est donc pleinement réussi. "Que ferions-nous sans cette douleur, sans cette séparation ?" demande Agatha. Nous n’aurions en tout cas pas passé un aussi bon moment de théâtre. Un bijou à (vous) offrir sans hésiter une seconde !