Gaspard de la nuit, le sommet pianistique de Ravel sera interprété par la talentueuse pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili.
C’est la lecture des poèmes en prose écrits dans les années 1830 par Aloysius Bertrand qui envouta Ravel, et qui décida d’en illustrer trois.
En regard de chaque morceau, Ravel fit reproduire scrupuleusement le texte le texte littéraire.
- Ondine, conte d’une nymphe des eaux apparaissant à la fenêtre d’un humain.
- Le Gibet, dernières impressions d’un pendu qui assiste au coucher du soleil.
- Scarbo, petit gnome diabolique et facétieux, porteur de funestes présages apparaissant en songe au dormeur.
Ondine, d’abord une batterie irrégulière de triples croches, caressant une mélodie suppliante et très douce : « Ecoute ! Ecoute ! C’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune… » : Chant de la séductrice des eaux que le poète, qui aime une mortelle, n’entend pas.
Le discours s’enjolive peu à peu d’ornements. Puis venu des profondeurs, un chant se fait insistant exprimé par une descente vertigineuse d’accords : « sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son anneau à mon doigt, pour être l’époux d’une ondine… »
Puis les deux mains balaient furieusement le clavier en triples croches fortissimo. La réaction jaillit par des arpèges fulgurants ; « Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulée qui ruisselèrent…le long de mes vitraux bleus. ».
Des arpèges sereins ramènent l’atmosphère du début. L’ondine n’était-elle qu’un rêve ?
Le gibet, toute la pièce est jouée avec la sourdine. Très lentement, sans presser ni ralentir, presque toujours pianissimo, une note (si bémol) se répète 153 fois, et se mêle à de sombres accords. « C’est la cloche qui tinte aux murs d’une ville, sous l’horizon, et la carcasse d’un pendu que rougit le soleil couchant. ». Après un chant expressif, surviennent des grappes d’accords inouïes, dissonantes et lugubres, dans un climat glaçant. Après un ultime sursaut tout se termine dans le silence le plus lourd.
Scarbo, est le nom d’un nain surgi de visions cauchemardesques : « Que de fois j’ai entendu bourdonner son rire dans l’ombre de mon alcôve et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit ! » Après une introduction mystérieuse, un scherzo éblouissant et diabolique s’élance soudain sur un thème plein de vigueur. « Quel horreur ! », inscrit Ravel au-dessus de la portée.
Un deuxième thème fait son apparition en notes répétées, inhumain et sardonique. Les deux thèmes se développent de multiples manières, en mettant à contribution tout les ressources du piano.
Scarbo disparait brusquement, puis ressurgit plus agressif que jamais, pour disparaitre sur un dernier cri ironique et plein de bizarrerie. Le rideau tombe enfin sur ce théâtre de l’épouvante.
L’œuvre est connue pour sa considérable virtuosité et les prouesses pianistiques qu’elle requiert. Prenez le temps de découvrir ou redécouvrir cette œuvre avec Martha Argerich.
Khatia Buniatishvili nous ravira ensuite avec les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski.
Moussorgski écrivit cette suite pour piano en trois semaines. Il partit de suggestions procuraient par une exposition de dessins de l’architecte Victor Harman pour composer ce cycle : scènes populaires, univers des enfants, fantasmagories, obsession de la mort, attachement à l’ancienne Russie.
Voici six des douze tableaux subsistant toujours de nos jours :
- Un dessin de costume d’oisillon (Ballet des poussins)
- Deux portraits de juifs (Goldenberg et Schmuyle)
- Une aquarelle des catacombes de Paris (Catacombes)
- Une représentation de la maison de Baba Yaga (La cabane sur des pattes de poule)
- Le plan d’une porte monumentale (Porte de Kiev)
Les différentes pièces sont précédées d’un prélude et entrecoupées de promenades symbolisant la déambulation du visiteur entre chaque tableau. L’exécution de l’ensemble des pièces dure environ quarante minutes.
Khatia Buniatishvili a le talent pour nous faire vivre une soirée passionnante avec ces deux monstres des œuvres pour piano.
« Elle risque bien de conquérir le cœur de plus d’un amateur de musique ».
Rendez-vous au Conservatoire de Bruxelles le jeudi 20 février.
Georges Yana