On reconnait le personnage : Michel Poncelet. Un comédien formidable dans le sens anglo-saxon. Il n’aimera peut-être pas la comparaison, lui qui a joué un admirable Karl Marx aux Martyrs la saison passée. Il est un « formidable actor, …tout comme Margaret Thatcher was a formidable woman ! ». Impressionnant par la variété et la souplesse de son jeu. L’un après l’autre il enfile le dandy et l’homme d’affaire Italien richissime, l’inspecteur Maigret en imperméable et le clodo que vous avez croisé sur votre chemin sans lui donner une thune et qui se prend pour Elie ou le Messie, mais si ! Il s’amuse à fabriquer des timbres de voix multiples, passe d’un registre à l’autre avec une énergie scénique hors du commun. Et dans son regard ou son sourire se lit une avalanche d’humanité. La mise en scène très dynamique de Bernard Lefrancq y est aussi pour quelque chose…glissant d’un espace vers un autre, dans ce petit lieu de théâtre qui nous est si cher. Il aime se placer dans l’optique de « tout pour Monsieur Léon », ce spectateur vierge de tout prérequis et qui doit pénétrer au plus vite et avec plaisir dans les ressorts du spectacle. Une nouvelle, c’est si court ! Pour jouer « juste » il ne faut pas le moindre de faux-pas !
Est-ce un chemin vers le dépouillement dont il s’agit ? La première nouvelle est douce-amère, un peu à la Roald Dahl, elle prend son envol sur les chapeaux de roue d’une Jaguar en folie et ceux de l’amour fort exigeant d’une dame qui a mis son mari au défi de la séduire par des surprises éternellement renouvelées… Amour courtois oblige, mais qui peut s’avérer meurtrier ! C’est vrai qu’un fait divers bien tourné peut tourner à la nouvelle avec un peu de savoir-écrire ! La seconde embraye dans les couleurs de la poésie avec un inspecteur très banal et mystérieux à la fois, qui faute de tout indice pour démasquer l’assassin de Sarah doit s’en remettre à un collègue à la retraite, spécialiste en traces de peur. Et la troisième nouvelle retrouve un clodo qui n’est pas un rescapé de Beckett mais qui va s’enivrer gratuitement dans un cercle de laïcs juifs…et se fait un cinéma truculent et fort lyrique à propos de son identité. Le point commun, c’est sans doute la solitude que chacun peuple selon sa fantaisie...
Les nouvelles sont un genre de plus en plus boudé dans notre monde actuel. Ce qui est paradoxal, vu le plaisir très contemporain du zapping. Est-ce parce que le lecteur doit faire l’effort de s’adapter sans cesse à une nouvelle brochette de personnages et que le lecteur renâcle devant cet effort intellectuel ? C’est ce que déplore l’auteur, Vincent Engel, en tous cas en ce qui concerne le public francophone. « La fiction est aussi ce qui nous permet d’échapper à l’unicité du réel. » Les nouvelles débouchent souvent sur des fins ouvertes, qui donnent un certain vertige. Est-ce cela qui dérangerait un public moins tourné vers l’exploration de l’imaginaire personnel ou vers l’appel de la création littéraire ? Beaucoup de professeurs d’universités sont pourtant d’accord pour dire que la nouvelle est en quelque sorte un fleuron d’excellence intellectuelle. Alors, allez en juger par vous-mêmes !
Dominique-Hélène Lemaire