Le dispositif de Léa Drouet est d’une simplicité extrême : un sol quadrillé de gaffeur
fluorescent vert, des couvertures grises, un environnement sonore et lumineux qui s’amplifie au fur et à mesure. À l’intérieur de ce dispositif, les performeurs se déploient peu à peu dans l’espace, occupés à minutieusement déployer les couvertures entassées dans un coin. On voit apparaître peu à peu des formes, pour des couvertures qui deviennent à la fois des rochers, des linceuls, des tanks, des rives, des charniers, des tentes, des lits, aussi loin que peut porter l’imagination. Ce monde en évolution constante change au fil des déplacements des différents performeurs, selon là où ceux-ci vont décider de s’allonger, de se recouvrir les uns les autres, d’aller ensemble, ou à l’opposée les uns des autres. Le plateau se compose ainsi par ces différents corps et ces espaces qui apparaissent et disparaissent, devenant de plus en plus inquiétant avec un univers sonore où on entend des bruits de foule, des bruits d’océan, puis de craquements et de grondements, tandis que la lumière elle-même vacille au-dessus de nos têtes.
Léa Drouet joue ainsi avec nos perceptions, nous éclairant tantôt à la lumière du néon tantôt à la lumière noire, faisant monter et disparaître le son autour de nous.
Chacun verra ce qu’il voudra dans cette atmosphère qui fait remonter en nous à la fois des images des médias (par exemple des réfugiés ou de pays en guerre), de représentations collectives ou simplement d’évocations sensorielles, sans jamais pouvoir être sûr de ce qu’on a vu, puisque le plateau en face de nous est en constante transformation. L’expérience est donc à la fois individuelle et collective, laissant chacun en proie à son propre ressenti dans un dispositif qui lie l’ensemble des spectateurs ensemble. Tout reste en suspens jusqu’à l’image finale que construisent les performeurs,
classant les couvertures par ordre de taille et de couleur, et construisant avec des cartons une forme pouvant évoquer à la fois un salon-télé, un tank ou un lieu de vie.
Dans cet espace, les formes nous échappent et restent au stade de projections avant de
disparaître. Cela est dû à la performance remarquable des six performeurs de Léa Drouet qui, malgré leur rythme lent, sont en mouvement constant pour changer de place, modifier l’espace, et faire apparaître tour à tour différentes formes. Le spectateur est alors plongé dans un trouble où le temps se dilate, où nul n’est plus sûr de ce qu’il a eu sous les yeux la seconde précédente. Léa Drouet donne ainsi une image du monde comme un univers trouble où tout est modifié par des actions humaines en permanence.
On pourrait se permettre de lire derrière cette quête avant tout esthétique un objectif
politique pour un spectacle qui place six hommes et femmes sur un immense plateau quadrillé, entre le touché-coulé et une carte nucléaire, tous responsables des changements qui s’y produisent. Et c’est encore là le coup de force de Léa Drouet : parvenir à laisser au spectateur toute la puissance de sa lecture personnelle tout en imposant un parti pris esthétique et éthique fort.
Aussi simplement que ça.