Une longue table traverse le plateau, un écran en fond de scène, une télévision tournée vers le plateau. Quatorze intervenants dont huit femmes, s’avancent posent le dos des mains sur la table et se penchent dans le silence, puis se redressent et grattent le dessus de la table avec les doigts, ils tapotent avant de frapper avec le plat de la main. Jeux de mains, de poings, tous obnubilés par l’écran de télévision qui leur fait face.
Eric Valette prend la parole et explique l’équation (A+X+P) où le A incarne les artistes en général, X les participants à des ateliers pour des groupes sociaux fragilisés et P le public. Les parenthèses représentent le théâtre. « Les villes changent les artistes, dit-il. Ils sont plus prompts à s’installer dans les quartiers défavorisés. » Mauro Paccagnella habite Saint-Gilles, Eric vit à Belleville. (A+X+P) explore le rapport entre ceux ont accès à la culture et ceux qui en ont un accès plus difficile.
Mauro a animé des ateliers artistiques au sein de la Résidence Sainte-Gertrude dans le cadre du partenariat du Théâtre Les Tanneurs avec le CPAS de la ville de Bruxelles. Il a pris en charge trois groupes : un avec des personnes qui pouvaient être ses parents, un avec ceux qui pourraient être ses enfants et un autre avec ceux qui pourraient être ses voisins. Ces différents rapports à l’image et à l’espace lui ont donner l’envie de proposer un nouveau regard sur la danse, de confronter le corps des non danseurs à la danse. Selon lui, il y a beaucoup à apprendre des non danseurs. Les corps non spécialisés sont plus fragiles, et il faut envisager la fragilité comme une force.
Ce spectacle chorégraphique documentaire reprend des images de l’installation vidéo « JE SUIS » de Stéphane Broc actuellement exposé au CIVA. Ce triptyque donne la parole à une centaine de participants aux ateliers de Mauro Paccagnella et Eric Valette – au micro mais aussi au dessin - à la Centrale Culturelle Bruxelloise, au centre Fedasil et à la Résidence Sainte-Gertrude. Ces participants – migrants mineurs non accompagnés, chômeurs en réinsertion socio-professionnelle ou résidents d’une maison de retraite – n’étaient pas toujours volontaires mais tous ont accepté le jeu.
La danseuse Tijen Lawton n’a pas participé à ces ateliers mais elle s’est nourrie des prises de vue de ces corps non spécialistes pour créer un vocabulaire corporel tout en fragilité et en fraîcheur qu’elle apporte sur la scène. Au final, Mauro Paccagnella et Eric Valette livrent un travail très épuré qui atteste que « n’importe quel geste est juste du moment qu’il existe ».