Le super duo Fabian Finkels-Guy Pion a fait merveille une fois de plus. Présence théâtrale confirmée, esprit, vivacité, diction impeccable, justesse de ton, sensibilité, charisme, tout y est.Guy Pion prend habilement les habits de la « mauvaise pensée » du héros Winston, (Fabian Finkels) et sert de personnage supplémentaire à Thierry Debroux pour mettre en scène le journal intime, fil conducteur de l’œuvre d’Orwell. Coup de maître, puisque le même Guy Pion, très astucieusement vêtu du même manteau et chapeau appartenant à un siècle révolu, joue aussi le rôle d’O Brien, l’opposant au régime, ou pas… La résultante des méprises est d’autant plus glaçante. Une méprise semblable à celle annoncée dans la conclusion de « Animal Farm » (1945) la fable prophétique d’Orwell où les personnages finissent par se mélanger indistinctement dans l’esprit du narrateur. …Et si ce splendide équipage Finkels-Pion, un véritable bijou d’art scénique, représentait par leur ensemble tellement bien huilé, l’essence même, charnelle et spirituelle de notre nature humaine ? Quelle paire ! Unique en son genre, extraordinairement vibrante et bouleversante !
De même, le formidable duo Winston-Julia ( avec Muriel Legrand) creuse les sentiers interdits de l’amour prêt à succomber. Ou ceux de la trahison… Mention spéciale décernée au terrifiant duo mère-fille, Magda et Lysbeth Parsons, joué à la perfection par Perrine Delers et en alternance, Ava Debroux, Laetitia Jous et Babette Verbeek. Mère et fille sont aussi impressionnantes que Misery, personnage de Stephen King. C’est tout dire ! Pierre Longnay tient le rôle de Syme, avec conviction. La mise en scène de Patrice Mincke, alterne dialogues, chansons et les superbes chorégraphies de Johann Clapson et Sidonie Fossé. Fort heureusement, les voix humaines qui s’élèvent à travers les chants et les ballets des danseurs trouent par moment l’univers étouffant des circuits électroniques et des écrans omniprésents et convoquent notre émotion en aiguisant notre nostalgie, comme si on y était déjà, au cœur de cette détestable uchronie, où sévissent des drones de tout poil. C’est à pleurer ! Et pas de rire…
Le décor irrespirable et oppressant de Ronald Beurms est fait de monstrueux containers imbriqués au début du spectacle, dans une sorte de rubik’s cube glauque fait de métal et de bois brut comme un immense coffre-fort…
« Morituri te salutant » Le monde ne tourne plus rond, il se bloque dans des mouvements d’abscisse et d’ordonnée, celui d’un ordre nouveau jouant sur la verticalité et l’horizontalité ne laissant plus aucune place à la pensée, à la vie, aux courbes, à la nature, à la féminité. Les concepts sont inversés, on marche donc sur la tête. L’Amour n’est plus, vaincu par la Haine que l’on se doit de vénérer en groupes. Elle est érigée en principe de vie dès le plus jeune âge, la dénonciation d’autrui étant devenu le modus vivendi. Vivre ou mourir, d’ailleurs, quelle importance ? La seule raison d’exister est de servir Big Brother ou vous êtes vaporisé. Le monde n’a plus aucune notion de paix puisqu’il est en état de guerre perpétuelle. La liberté, même celle inscrite au plus profond de nos rêves, est mise hors la loi. Le langage, à long terme est appelé à disparaître, pour empêcher toute ébauche de critique du régime politique en place. L’inoffensif terme « Monsieur » est même en passe de disparaître du dictionnaire. Tout comme l’amour, le vin, la musique, les parfums et Shakespeare. C’est l’avènement d’un langage épicène visant à l’extinction de la pensée. « Big Brother » décide que les citoyens sont rendus à une existence de moutons : coupables, dociles et décérébrés. Happy End.
Dominique-Hélène Lemaire
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