Dans ce spectacle dernier-né, beaucoup de fraîcheur vient de la musique et de la mise en scène. Une musique perdue et retrouvée par les soins de celle qui a fait œuvre d’exploratrice dans les mille et un livres et partitions abrités dans notre chère Bibliothèque Nationale de Belgique et a retrouvé l’été dernier les partitions originales d’un certain compositeur liégeois, Charles Scharrès (1888-1957). Une entreprise de Marie-Laure Coenjaerts (artiste lyrique belge, mezzo-soprano que l’on a entendue notamment dans le rôle-titre de « L’enfant et les sortilèges », chef d’œuvre de Ravel sous la direction de Pascal Rophé). Il n’y avait plus qu’à déchiffrer ces partitions jaunies, les mettre au piano avec la complicité du fougueux Flavien Casaccio, pianiste concertiste, et leur prêter la voix profonde de Marie-Laure. Leur redonner les couleurs et les visages de notre temps en les tressant avec la fibre des mots et des jeux de scène originaux.
Aux commandes des textes, on retrouve l’infatigable comédienne Laurence Briand qui, elle, peu friande de bibliothèques, contacte des gens, écrit des mails, reçoit des écrits et s’affaire à un nouveau montage dont elle a le secret, pour sortir l’ensemble de l’oubli. Cent ans ? La Belle au bois a certes bien dormi, mais il s’en est passé des choses depuis 14-18 et le monde n’est plus reconnaissable. Quant au prince charmant qui ramènera l’amour dans le monde, on l’attend encore ! « Cependant que le soldat inconnu a connu l’incandescence trop brève de l’amour » nous souffle la comédienne à genoux sur la scène en égrenant une poignée de sable.
Ré-envisager cette époque tragique et sortir de l’oubli ses heurs et ses douleurs qui nous ressemblent parfois étrangement a beaucoup de sens. Les pépites exhumées - la musique comme les textes - ont une particularité : elles sont totalement belges et nées quelque part entre 14 et 18. Seul bémol : on remarque une absence criante, celle de l’écriture féminine belge. A cette époque, mères, filles et épouses avaient bien d’autres chats à fouetter que l’écriture. Et au fond, avaient-elles même une âme ? C’est pourquoi Laurence Briand en profite pour ajouter des textes d’une romancière contemporaine, Marianne Sluszny (1954) qui lui donne accès au recueil de ses nouvelles, intitulé « Un bouquet de coquelicots ». Un bouquet impressionnant de « souvenirs » de jeunes gens captés au plus vif de la souffrance.
La musique est bien sûr le baume qui calme et qui réjouit, formant un contrepoint impressionniste dans ce fracas meurtrier. Les chants retrouvés parlent d’amour, de soleils qui hument la rosée… et forment un tableau très contrasté avec la détresse des jeunes gens envoyés se faire tuer au front, souvent à la place des nantis : « La victoire en chantant ! » Les échos auxquels vous goûterez sont les accords complexes et les couleurs chromatiques de Ravel et Debussy, à s’y méprendre. Le temps que Laurence Briand, elle-même déguisée en jeune gavroche des tranchées, rende compte de toute l’horreur et de toutes les tragédies humaines de cette terrible époque. Avec poésie et humour et sa savoureuse présence théâtrale, vous vous en doutez !
Vous l’aimerez, ce nouveau Bébé. Un trio de clavier bien trempé et de voix féminines chantées et parlées, plein de maturité !