Né à Londres en 1939, Ayckbourn est l’auteur d’une cinquantaine de comédies, qu’il qualifie de « farces noires ». Bien que très attachée à Scarborough, la ville d’adoption du nord de l’Angleterre dans laquelle il créa son « repaire théâtral », son œuvre est jouée sur les scènes mondiales, et traduite en une trentaine de langues. Anobli par la Reine Elisabeth d’Angleterre en 1997, Ayckbourn a obtenu de nombreuses distinctions honorifiques et est l’auteur dramatique anglais le plus joué au monde après Shakespeare.
Il trouve dans le divorce de ses parents, survenu lorsqu’il n’a que huit ans, une source d’inspiration inépuisée à ce jour sur le thème du couple et de son (non-)sens profond. Entre tensions, travers, lâchetés, mensonges, le menu de la vie à deux qu’il nous sert est amer, aigre, rarement doux ou sucré. Et quand il s’attaque au plat mitonné la vie de famille, il le prépare aux petits oignons : les enfants et les parents dégustent !
Alan Ayckbourn, ce faiseur de farces, a, en effet le tour de main pour nous faire savourer sa recette d’atroce tragi-comédie, emballée dans des apparences de boulevard traditionnel. Dans « 1 table pour 6 », Ayckbourn, utilise un autre ingrédient habituel chez lui : le démontage de la mécanique du temps, à coups de flash-backs, d’accélération et de ralentis. Cette chronologie à plusieurs vitesses relève de la fine horlogerie, puisqu’elle impose que rebours et futurs se déroulent en même temps, dans le même espace scénique.
Martine Willequet, Tristan Moreau et Pierre Lognay forment un trio mère-fils épicé, sorte de méli-mélo de mauvaise "foie" nappé d’une crémeuse injustice. Le père, Luc Van Grunderbeeck, est un caramel dur dont la mollesse finit par coller aux dents de la naïveté. La femme crédule interprétée par Cécile Florin donne une saveur mi-fade, mi-relevée au bouillon de la trahison qu’elle doit boire. La cerise sur le gâteau, c’est le jeu décalé d’une Julie Duroisin acidulée jusqu’à plus soif. Pierre Pigeolet est un buffet-à-volonté à lui tout seul. Endossant cinq tabliers de serveur, il est le passeur de plat de la pièce. Après chaque réajustement de perruque, il réapparaît en tombant comme un cheveu dans la soupe, puis en profite pour mettre les pieds dans le plat et délier les langues des sentiments complexes de cette famille où chacun pourra retrouver une partie de lui-même.
La mise en scène de Patrice Mincke, servie par le bon produit des comédiens, est allégée, sobrement dosée. A la lecture du menu, rédigé par un grand chef comme Ayckbourn, on ne s’attend pas à une cuisine gastronomique, mais à une très bonne cuisine du quotidien, parfaitement assaisonnée. Bien que l’entrée et le plat consistant servis aux Galeries nous aient laissés un peu sur notre faim, le goût piquant du dessert a su raviver nos papilles. Ouf ! on a eu peur que la sauce anglaise ne prenne pas !
Céline Verlant
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